par Pierre Damascène
Oh,
que de larmes je voudrais verser quand je m’entrevois moi-même. Car si je ne pèche
pas, je ne m’élève dans l’orgueil. Mais si je pèche et puis le voir, je perds
courage dans mon indigence et je tombe dans le désespoir. Si je me réfugie dans
l’espérance, de nouveau arrive l’orgueil. Si je pleure, je risque la
présomption. Si je ne pleure pas, les passions reviennent. Ma vie est une mort.
Et dans la crainte du châtiment, la mort est pire. Ma prière devient en moi une
tentation et l’inattention me perd. Celui qui a pris sur lui la connaissance
s’est couvert de douleur, dit Salomon.
Incertain,
hors de moi, je ne sais que faire. Si je connais et ne fais pas, la
connaissance me condamne. Hélas, que choisir ? Toutes choses dans mon
ignorance me paraissent contraires et je ne puis les rendre semblables. Je ne
trouve pas la vertu cachée et la sagesse dans les tentations, car je n’ai pas
la patience. Mais à travers les pensées je quitte l’hèsychia (1). Et dans la
tentation, à travers mes sens je découvre au-dehors les passions. Si je veux
jeûner et veiller, la présomption et le relâchement m’en empêchent. Si je mange
et dors sans compter, je tombe malgré moi dans le péché.
Je suis serré de
partout.
Je fuis par crainte du péché, mais l’acédie (2) me renverse.
Je
vois pourtant que dans ces combats et ces tentations beaucoup reçoivent les
couronnes. Car leur foi est sûre. Elle leur a donné la crainte de Dieu, et par
elle ils ont mené à bien l’œuvre des autres vertus. Si moi aussi j’avais la foi
comme eux je trouverais la crainte. Le prophète l’a dit, c’est par la crainte
qu’ils ont reçu la piété et la connaissance, d’où et le conseil, la
compréhension et la sagesse de l’Esprit viennent à ceux qui demeurent en Dieu
dans l’absence de soucis et la méditation patiente des divines Ecritures,
laquelle rends semblables tout ce qui est en-haut et tout ce qui est en-bas. Si
celle-ci ne naît pas de la foi dans l’âme, il est impossible de jamais avoir
aucune vertu. « Dans votre patience vous sauverez vos âmes », dit le
Seigneur qui forme le cœur de chacun des hommes, comme chante le Psalmiste. Il
signifie par là que le cœur de chacun, c’est-à-dire l’intelligence (3), est formé à
travers la patience dans les tribulations.
On
ne doit donc jamais rejeter la crainte, tant qu’on na pas atteint le port de
l’amour parfait, tant qu’on n’est pas hors du monde, hors du corps. Mais la grande foi dégage l’intelligence du
souci de la vie et de la mort du corps. Il parvient à la crainte pure, la
crainte d’amour, dont parle le grand Athanase aux parfaits :
« Ne
crains pas Dieu comme un maître tout-puissant, mais crains-le en raison de son
amour. »
Crains
non seulement de pécher, mais d’être aimé et de ne pas aimer toi-même, et
d’être indigne du bien que tu reçois. Dès lors c’est la crainte de ce bien qui
porte l’âme à aimer, à devenir digne des bienfaits qu’on reçoit et qu’on
recevra, dans sa reconnaissance envers le Bienfaiteur. Et de la crainte pure de
l’amour, on parvient à l’humilité surnaturelle.
DAMASCENE Pierre, Deuxième Livre, Philocalie des Pères neptiques, Abbaye de Bellefontaine, T. B1, p. 155-157
(1) Hèsychia: tranquillité, repos, paix, impassibilité de l'âme .
(2) Acédie: état de paresse et de négligence intérieure, abandon de la prière, lassitude.
(3) Intelligence: non seulement l'intelligence cognitive mais aussi l'intelligence du coeur. L'intelligence est la double faculté de penser le monde et de contempler Dieu.
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