Suzanne de Dietrich
EPER - 18 juin 2017 dimanche des réfugiés |
Seigneur, pourquoi m’as-tu dit d’aimer tous
mes frères les Hommes ?
J’ai essayé, mais vers toi je reviens
effrayée !
J’étais si tranquille chez moi.
J’étais organisée, je m’étais installée.
Mon intérieur était confortable et je m’y
trouvais bien.
Seule, j’étais d’accord avec moi-même, à
l’abri du vent, de la pluie, des voyous, et je serais restée dans ma tour
enfermée !
Mais à ma forteresse tu as trouvé une faille,
tu m’as forcée à entrouvrir la porte.
Comme une rafale de pluie en pleine face le
cri des Hommes m’a réveillée.
Comme un vent de bourrasque, une amitié m’a
ébranlée.
Comme s’insinue un rayon de soleil, ta grâce
m’a inquiétée. Et j’ai laissé ma porte entrouverte, imprudente que
j’étais ! Dehors, les hommes me guettaient.
Ils sont entrés chez moi, les premiers.
Il y avait tout de même un peu de place en mon
cœur jusque-là c’était raisonnable.
Mais les suivants, les autres Hommes, je ne
les avais pas vus, les premiers les cachaient,
Ils étaient plus nombreux, ils étaient plus
misérables.
Ils m’ont envahie sans crier gare.
Il a fallu se resserrer, il a fallu faire de
la place pour eux chez moi.
Maintenant ils sont venus de partout, par
vagues successives… l’un poussant l’autre, bousculant l’autre.
Ils sont venus de partout, de la ville
entière, de la nation, du monde… innombrables, inépuisables.
Et il ne sont plus seuls, mais chargés de
bagages : bagages d’injustice, bagages de rancœur, et de haine, bagages de
souffrance et de péché. Et ils traînent le monde derrière eux, avec tout son
matériel rouillé et tordu, ou trop neuf et mal adapté.
Seigneur, ils me font mal, ils sont
encombrants, ils sont envahissants.
Ils ont faim, ils me dévorent.
Je ne puis rien faire : plus ils entrent,
plus ils poussent la porte ! Et plus la porte s’ouvre.
Ah ! Seigneur, j’ai tout perdu, je ne
suis plus à moi. Il n’y a plus de place pour moi, chez moi !
Ne crains rien dit Dieu, tu as tout
gagné ! Car tandis que les hommes entraient chez toi, moi ton Père, moi
ton Seigneur, je me suis glissé parmi eux.
Suzanne de Dietrich (1891-1981)
Théologienne luthérienne, bibliste.
Au début de la guerre, en 1939 elle participe
à la fondation de la CIMADE (Comité
inter-mouvements auprès des évacués)
« La
Cimade a pour but de manifester une solidarité active avec ceux qui souffrent,
qui sont opprimés et exploités et d’assurer leur défense, quelles que soient
leur nationalité, leur origine, ou leur position politique ou religieuse. En
particulier, elle a pour objet de combattre le racisme, veiller
scrupuleusement au respect des droits et de la dignité des personnes, quelle
que soit leur situation.» (art. 1 des statuts)