par Mgr. Kallistos Ware
Prière du coeur
L’invocation
du Nom répétée, en unifiant davantage notre prière, la rend en même temps plus
intérieure, plus une part de nous-mêmes - non pas quelque chose que nous
faisons à des moments particuliers, mais quelque chose que nous sommes tout le
temps ; pas un acte occasionnel mais un état continu. Une telle manière de
prier devient vraiment la prière de l'homme tout entier prière dans laquelle
les mots et la signification de la Prière sont pleinement identifiés avec celui
qui prie.
Ce n'est
pas assez d'avoir des temps de prières : chaque acte, chaque geste, même un
sourire, doit devenir une hymne d'adoration, une offrande, une prière. Nous
devons offrir non ce que nous avons, mais ce que nous sommes. C’est ce dont le
monde a besoin par-dessus toute autre chose : non de gens qui disent des
prières avec plus ou moins de régularité, mais des gens qui sont
" prière ".
L’invocation du Nom commence, comme toute autre prière, comme une prière
vocale, dont les mots sont prononcés avec la langue par un effort délibéré de
la volonté. En même temps, encore une fois par un effort délibéré, nous
concentrons notre intellect sur le sens de ce que dit notre langue.
Avec le
temps et le secours de Dieu, notre prière devient plus intérieure. La
participation de l'intellect devient plus intense et plus spontanée, tandis que
les sons énoncés par la langue deviennent moins importants ; pour un
moment, peut-être, ils cessent complètement et le Nom est invoqué en silence,
sans aucun mouvement des lèvres, par l'intellect seul. Quand ceci se produit,
c'est que nous sommes passés, par la grâce de Dieu, du premier niveau au
second.
Mais le voyage intérieur n'est pas encore achevé. Un homme est beaucoup
plus que son esprit conscient ; outre son cerveau et ses capacités de
raisonnement, il y a ses émotions et ses affections, sa sensibilité esthétique,
en même temps que les couches instinctives de sa personnalité. Tout ceci a un
rôle à jouer dans la prière, car l'homme en entier est appelé à prendre part à
l'acte total de l'adoration. Comme une goutte d'encre qui tombe sur un buvard,
l'acte de la prière devrait s'étendre régulièrement vers l’extérieur à partir
du centre cérébral de la conscience et du raisonnement jusqu'à ce qu'il
imprègne chaque partie de notre être.
En termes
plus techniques, ceci signifie que nous sommes appelés à avancer du second niveau
au troisième : de la prière de l'intellect à la prière de l'intellect dans le
coeur. Le " coeur " dans ce contexte doit être compris au
sens sémitique et biblique plutôt qu'au sens moderne, comme désignant non pas
seulement les émotions et les affections, mais la totalité de la personne
humaine. Le coeur est l'organe premier de l'être de l'homme, " le moi
le plus profond et le plus vrai, qu'on n'atteint qu'a travers le sacrifice, à
travers la mort."
Interprété de cette façon, le coeur est beaucoup plus qu'un organe
matériel dans le corps : le coeur physique est un symbole extérieur des
possibilités spirituelles sans limites de la créature humaine, faite à l'image
et à la ressemblance de Dieu.
Pour accomplir le voyage intérieur et atteindre à la vraie prière, il
est nécessaire d'entrer dans ce centre absolu, c'est-à-dire de descendre de
l'intellect dans le coeur. Plus exactement, nous sommes appelés à descendre non
de mais avec l'intellect. Le but n'est pas seulement
" la prière du coeur " mais " la prière de
l'intellect dans le coeur ", car les formes conscientes de
l'entendement, y compris la raison, sont un don de Dieu et doivent être
utilisées à son service, non rejetées. Cette " union de l'intellect
avec le coeur " signifie la restauration de la nature déchue et
fragmentée de l'homme, sa restitution dans son unité originelle. La prière du
coeur est un retour au Paradis, un mouvement inverse de la Chute, le
recouvrement du status ante peccatum. Ceci signifie que c'est une
réalité eschatologique, un gage et une anticipation de l'âge à venir - quelque
chose qui, dans l'âge présent, n’est jamais pleinement ni entièrement réalisé.
La prière
du coeur, donc, désigne le point où " mon " action,
" ma " prière, s'identifie explicitement avec l'action
continuelle d'un Autre en moi. Ce n'est plus la Prière à Jésus, mais la Prière
de Jésus lui-même.
Le but final de la prière
L'objectif final peut être valablement décrit par l'expression
patristique de théosis, " déification " ou
" divinisation ". Comme le dit l’archiprêtre Serge
Boulgakov : " Le Nom de Jésus présent dans le coeur humain lui
confère le pouvoir de déification49. "
" Le Logos devint homme, dit saint Athanase, pour que nous puissions
devenir Dieu. " Celui qui est Dieu par nature prit notre humanité
pour que nous, hommes, nous puissions avoir part par grâce à sa divinité,
devenant " participants de la nature divine "
(2 P 1,4). La Prière de Jésus, adressée au Logos incarné, est un
moyen de réaliser en nous le mystère de la théosis, par lequel l'homme
parvient à la vraie ressemblance avec Dieu.
La Prière
de Jésus, en nous unissant au Christ, nous aide à prendre part à l'inhabitation
réciproque, ou périchorésis, des Trois Personnes de la Sainte Trinité.
Plus la Prière devient une part de nous-mêmes, plus nous entrons dans le
mouvement d'amour qui passe constamment entre le Père, le Fils et le
Saint-Esprit.
L’invocation
du Nom, bien pratiquée, engage chacun plus profondément dans la tâche qui lui
est assignée ; elle rend chacun plus efficace dans son action, elle ne
coupe pas des autres mais relie les gens entre eux en les sensibilisant à leurs
peurs et à leurs angoisses d'une manière qui n'a jamais existé auparavant. La
Prière de Jésus fait de chacun " un homme pour les autres ",
un instrument vivant de la paix de Dieu, un centre dynamique de réconciliation.
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