par le Métropolite Antoine Bloom
Je
n’ai pas l’intention d’essayer de vous convaincre que vous disposez de beaucoup
de temps et que vous pouvez prier si seulement vous le vouliez ; je veux
m’entretenir avec vous des moyens de se ménager du temps au sein des tensions
et de l’accélération de la vie. Je vous épargnerai toute description de la
manière dont on peut créer du temps : je me bornerai à souligner que si
nous essayions de perdre un peu moins de temps nous en aurions davantage. Si
nous utilisons les miettes de temps perdu pour tenter de construire de courts
moments en vue de la prière et du recueillement, peut-être découvrirons-nous
que le temps ainsi récupéré est considérable.
Si
nous réfléchissons au nombre de minutes creuses dans une journée, pendant
lesquelles nous faisons quelque chose parce que nous avons peur du vide, peur de
nous retrouver seuls avec nous-mêmes, nous verrons qu’il y a bien des courts
moments qui pourraient appartenir à la fois à Dieu et à nous.
Mais
je veux surtout parler ici d’une question qui me paraît encore plus
importante : la manière dont nous pouvons contrôler et arrêter le temps.
On ne peut prier que si l’on se trouve en présence de Dieu dans un état de
quiétude et de paix intérieure qui affranchit de la notion du temps – je
n’entends pas ici le temps objectif mesurable mais l’impression subjective que
le temps file et qu’ « on n’a pas le temps ».
Il
est absolument inutile de courir après le temps pour le rattraper. Loin de
fuir, il se précipite à notre rencontre. Que vous désiriez ardemment que la
minute qui vient soit là ou que vous n’y attachiez aucune importance, vous
pouvez être sûr qu’elle arrivera. Quoi que vous puissiez faire, l’avenir
deviendra le présent ; aussi n’est-il pas nécessaire de bondir du présent
dans l’avenir. Il suffit tout simplement d’attendre que l’avenir devienne
présent et, à cet égard, il est possible d’être totalement immobile tout en se
mouvant dans le temps parce que c’est le temps qui est mouvement.
Si
nous imaginons être en avance sur le temps ou sur nous-mêmes, de fait, nous ne
le sommes pas. En réalité, nous sommes tout simplement pressés mais nous
n’avançons pas plus vite pour autant. Voilà ce qu’il nous faut apprendre au
sujet de la prière : apprendre à nous fixer dans le présent. Nous agissons
souvent comme si le présent était une ligne imaginaire très ténue entre le
passé et l’avenir et nous virevoltons sans cesse entre le passé et l’avenir, en
franchissant continuellement cette ligne.
Il y
a donc, en ce qui concerne le temps, des moments où, sans entrer autant dans le
détail, il est possible de percevoir que l’instant présent est là : le
passé a irrémédiablement disparu, il n’a plus d’importance sauf dans la mesure
où il fait encore partie du présent, et on peut dire la même chose de l’avenir
parce qu’il peut être ou ne pas être.
Voici
un premier exercice :
Assez-vous
et dites : « Je suis assis ; je ne fais rien ; je suis
résolu à ne rien faire pendant cinq minutes. » Détendez-vous alors et
pendant tout ce temps (au début vous ne pourrez pas tenir plus de deux ou trois
minutes) répétez-vous : « Je suis en présence de Dieu, je suis
tranquille sans bouger. » Une précaution s’impose évidemment : il
vous faut décréter que, durant les deux ou cinq minutes que vous vous êtes
assigné pour apprendre que le présent existe, vous ne vous laisserez pas
arracher à celui-ci par la sonnerie du téléphone ou le timbre de la porte
d’entrée ou encore par une impulsion énergique et soudaine qui vous pousse à
exécuter sur-le-champ quelque chose qui attend depuis dix ans !
Ce
point est très important parce que souvent nous donnons le change en
disant : « Il faut que je fasse telle chose ; la charité, le
devoir me le commandent, je ne puis la laisser ! » Vous le pouvez car
à d’autres moments et par pure nonchalance vous laisserez ce travail et pour
bien plus de cinq minutes.
Ce
temps appartient à Dieu et vous vous installez dans ce temps de Dieu
tranquillement, silencieusement, paisiblement. Au début, vous verrez combien
c’est difficile et vous découvrirez soudain qu’il est de la première urgence
que vous terminiez telle lettre, la lecture de tel passage. En réalité, vous vous apercevrez bien vite
que vous pouvez très bien remettre cette occupation pendant trois, cinq voire
même dix minutes sans qu’aucune catastrophe ne se produise. Et si vous avez à
travail qui requiert toute votre attention, vous constaterez que vous pouvez
vous en acquitter plus rapidement et tellement mieux !
BLOOM
Antoine, L’école de la prière, Paris,
Seuil, 1972, p. 111-121
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