par Joseph Ratzinger (Pape Benoît XVI)
« Soyons
prudents dans ce que nous annonçons. Ce qu’a dit Saint Augustin est toujours
vrai : l’Homme est un abysse. Personne ne peut savoir à l’avance ce qui va
ressortir de ces profondeurs. Et quiconque considère que l’Église n’est pas
déterminée uniquement par cet abysse qu’est l’Homme, mais qu’elle s’efforce
d’atteindre le grand, l’infini abysse divin, sera le premier à douter de ses
propres prédictions, car cette volonté naïve de vouloir avoir raison à coup sûr
ne pourrait qu’être la preuve d’une incompétence sur le plan historique.
Je
pense, non, je suis sûr, que le futur de l’Église viendra de personnes
profondément ancrées dans la foi, qui en vivent pleinement et purement. Il
ne viendra pas de ceux qui s’accommodent sans réfléchir du temps qui passe, ou
de ceux qui ne font que critiquer en partant du principe qu’eux-mêmes sont des
jalons infaillibles. Il ne viendra pas non plus de ceux qui empruntent la voie
de la facilité, qui cherchent à échapper à la passion de la foi, considérant
comme faux ou obsolète, tyrannique ou légaliste, tout ce qui est un peu
exigeant, qui blesse, ou qui demande des sacrifices.
Formulons cela de manière
plus positive : le futur de l’Église, encore une fois, sera comme toujours
remodelé par des saints, c’est-à-dire par des hommes dont les esprits cherchent
à aller au-delà des simples slogans à la mode, qui ont une vision plus large
que les autres, du fait de leur vie qui englobe une réalité plus large. Il n’y
a qu’une seule manière d’atteindre le véritable altruisme, celui qui rend
l’homme libre : par la patience acquise en faisant tous les jours des
petits gestes désintéressés. Par cette attitude quotidienne d’abnégation, qui
suffit à révéler à un homme à quel point il est esclave de son égo, par cette
attitude uniquement, les yeux de l’homme peuvent s’ouvrir lentement. L’homme
voit uniquement dans la mesure où il a vécu et souffert. Si de nos jours nous
sommes à peine encore capables de prendre conscience de la présence de Dieu,
c’est parce qu’il nous est tellement plus facile de nous évader de nous-mêmes,
d’échapper à la profondeur de notre être par le biais des narcotiques, du
plaisir etc. Ainsi, nos propres profondeurs intérieures nous restent fermées.
S’il est vrai qu’un homme ne voit bien qu’avec le cœur, alors à quel point
sommes-nous aveugles ?
Quel
rapport tout cela a-t-il avec notre problématique ? Eh bien, cela signifie
que les grands discours de ceux qui prônent une Église sans Dieu et sans foi ne
sont que des bavardages vides de sens. Nous n’avons que faire d’une Église qui
célèbre le culte de l’action dans des prières politiques. Tout ceci est
complètement superflu. Cette Église ne tiendra pas. Ce qui restera, c’est
l’Église du Christ, l’Église qui croit en un Dieu devenu Homme et qui nous
promet la vie éternelle. Un prêtre qui n’est rien de plus qu’un travailleur social
peut être remplacé par un psychologue ou un autre spécialiste. Un prêtre qui
n’est pas un spécialiste, qui ne reste pas sur la touche à regarder le jeu et à
distribuer des conseils, mais qui, au nom de Dieu, se met à la disposition des
Hommes, est à leurs côtés dans leurs peines, dans leurs joies, dans leurs
espoirs et dans leurs peurs, oui, ce genre de prêtres, nous en aurons besoin à
l’avenir.
Allons
encore un peu plus loin. De la crise actuelle émergera l’Église de demain – une
Église qui aura beaucoup perdu. Elle sera de taille réduite et devra quasiment
repartir de zéro. Elle ne sera plus à même de remplir tous les édifices
construits pendant sa période prospère. Le nombre de fidèles se réduisant, elle
perdra nombre de ses privilèges. Contrairement à une période antérieure,
l’Église sera véritablement perçue comme une société de personnes volontaires,
que l’on intègre librement et par choix. En tant que petite société, elle sera
amenée à faire beaucoup plus souvent appel à l’initiative de ses membres.
Elle
va sans aucun doute découvrir des nouvelles formes de ministère, et ordonnera à
la prêtrise des chrétiens aptes, et pouvant exercer une profession. Dans de
nombreuses petites congrégations ou des groupes indépendants, la pastorale sera
gérée de cette manière. Parallèlement, le ministère du prêtre à plein temps
restera indispensable, comme avant. Mais dans tous ces changements que l’on
devine, l’essence de l’Église sera à la fois renouvelée et confirmée dans ce
qui a toujours été son point d’ancrage : la foi en un Dieu trinitaire, en
Jésus Christ, le Fils de Dieu fait Homme, en l’Esprit-Saint présent jusqu’à la
fin du monde. Dans la foi et la prière, elle considérera à nouveau les
sacrements comme étant une louange à Dieu et non un thème d’ergotages
liturgiques.
L’Église
sera une Église plus spirituelle, ne gageant pas sur des mandats politiques, ne
courtisant ni la droite ni la gauche. Cela sera difficile pour elle, car cette
période d’ajustements et de clarification va lui coûter beaucoup d’énergie.
Cela va la rendre pauvre et fera d’elle l’Église des doux. Le processus sera
d’autant plus ardu qu’il faudra se débarrasser d’une étroitesse d’esprit
sectaire et d’une affirmation de soi trop pompeuse. On peut raisonnablement
penser que tout cela va prendre du temps. Le processus va être long et
fastidieux, comme l’a été la voie menant du faux progressisme à l’aube de la
Révolution française – quand un évêque pouvait être bien vu quand il se moquait
des dogmes et même quand il insinuait que l’existence de Dieu n’était
absolument pas certaine – au renouveau du XIXe siècle. Mais quand les épreuves
de cette période d’assainissement auront été surmontées, cette Église
simplifiée et plus riche spirituellement en ressortira grandie et affermie. Les
hommes évoluant dans un monde complètement planifié vont se retrouver extrêmement
seuls. S’ils perdent totalement de vue Dieu, ils vont réellement ressentir
l’horreur de leur pauvreté. Alors, ils verront le petit troupeau des croyants
avec un regard nouveau. Ils le verront comme un espoir de quelque chose qui
leur est aussi destiné, une réponse qu’ils avaient toujours secrètement
cherchée.
Pour
moi, il est certain que l’Église va devoir affronter des périodes très
difficiles. La véritable crise vient à peine de commencer. Il faudra s’attendre
à de grands bouleversements. Mais je suis tout aussi certain de ce qu’il va
rester à la fin : une Église, non du culte politique car celle-ci est déjà
morte, mais une Église de la foi. Il est fort possible qu’elle n’ait plus le
pouvoir dominant qu’elle avait jusqu’à maintenant, mais elle va vivre un
renouveau et redevenir la maison des hommes, où ils trouveront la vie et
l’espoir en la vie éternelle. »
Source: site fr.aletheia.org
Ces propos sont ceux de Benoît XVI (qui est alors encore le Card. Joseph Ratzinger) lors d'une interview en 1969. Ses paroles frappent par leur pertinence et leur clairvoyance. Il y développe une vision réaliste et juste de l'avenir de l'Eglise.
A ceux qui s'arrêteraient à des préjugés infondés concernant l'auteur, on ne saurait trop recommander la lecture des ouvrages de ce grand théologien qu'est Joseph Ratzinger.
En particulier je vous recommande la lecture de:
- Jésus de Nazareth: l'enfance de Jésus.
- Jésus de Nazareth: du baptême dans le Jourdain à la Transfiguration.
- Jésus de Nazareth: de Nazareth à Jérusalem
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