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mercredi 7 septembre 2016

1054: l'année où il ne se passa pas grand chose

De la querelle du Filioque : pour un retour au texte original

 

Quelques repères historiques :

325 : le Concile de Nicée se réunit pour discuter et définir sa foi quant à la divinité ou non du Christ. Il s’agit d’un débat sur la nature du Christ. Est-il Dieu ? Est-il homme ? Est-il les deux tout à la fois ? Le Concile de Nicée établit une confession de foi qui proclame que Jésus est à la fois pleinement Dieu et pleinement homme. Dès lors l’hérésie arienne (du nom d’Arius), annonçant que Jésus n’a qu’une nature humaine et non divine, est condamnée.

381 : un nouveau Concile oecuménique (=reconnu valide par tous) se réunit à Constantinople. Ce concile va confirmer la confession de foi de Nicée, et préciser sa pensée au sujet du Saint Esprit. Sans écrire textuellement mot pour mot que le Saint Esprit est Dieu, elle affirme qu’il est divin et procède du Père (ce qui revient à dire qu’il est pleinement Dieu).  Au sujet du Saint-Esprit la confession de foi de Constantinople affirme :



Je crois… en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie;
il procède du Père.Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire; il a parlé par les prophètes.

Le texte affirme clairement que l’Esprit ne procède que du Père. L’idée que le Saint-Esprit ne procède pas uniquement du Père, mais aussi du Fils se trouve en gestation chez quelques Pères comme Ambroise de Milan, ou Tertullien (bien que ce dernier ce soit pas vraiment un Père de l’Eglise et qu’il fut officiellement condamné pour avoir rejoint l’hérésie montaniste à la fin de sa vie). Toutefois ces passages sont anecdotiques et ne font pas l’objet ni d’une formulation de foi, ni d’un développement sur la théologie trinitaire. Ces mentions que l’Esprit procède du Père et du Fils, sont chez les Pères grecs plus qu’anecdotiques et concernent toujours l’économie salvatrice et non pas l’essence éternelle de la Trinité. La procession du Père seule est quant à elle largement présente et développée. Citons quelques exemples :

  • Cyrille d’Alexandrie (à qui on attribue des écrits filioquistes) dit :

« L’Esprit découle, c’est-à-dire procède de Dieu le Père, comme d’une Source, mais Il est envoyé à la créature par le Fils. »

  • Théodoret de Cyr précise :

« Si Cyrille dit de l’Esprit qu’il est propre au Fils dans le sens qu’Il lui est consubstantiel et qu’Il procède du Père, alors nous sommes d’accord avec lui et considérons son expression comme conforme à la piété ; mais si, au contraire, c’est dans le sens que l’Esprit tire sa substance du Fils ou par le Fils, alors nous renions cette expression comme blasphématoire et impie. Car nous croyons le Seigneur qui a dit : l’Esprit de Vérité qui procède du Père. »
Cyrille confirmera la première hypothèse, affirmant que l’Esprit procède uniquement du Père.

  • Jean Damascène :

« L’Esprit est l’Esprit du Père […] mais il est aussi l’Esprit du Fils, non pas qu’Il procède du Fils, mais parce qu’il procède par Lui du Père. Il n’y a qu’une cause unique, le Père.Nous ne disons pas que le Fils est cause, ni que l’Esprit procède du Fils, mais nous disons qu’il est l’Esprit du Fils. »

  • Grégoire de Chypre :

« Il est reconnu que le Paraclet lui-même resplendit et se manifeste éternellement par l’intermédiaire du Fils […] mais cela ne signifie pas qu’Il possède son existence hypostatique par le Fils ou du Fils. »

Peu à peu en occident, poursuivant une intuition qu’on trouve parfois chez Augustin, l’idée que l’Esprit procède du Père et du Fils se répand en particulier chez les théologiens médiévaux.

En 589, le concile local de Tolède ajoute au texte de Nicée-Constantinople le mot latin filioque, affirmant ainsi que l’Esprit Saint procède du Père et du Fils. En occident, on commence de plus en plus à inclure « …et du Fils » (filioque) dans la récitation du Credo. Ce n’est toutefois pas de la mauvaise foi ni un acte délibéré… on croyait alors que le texte grec comportait aussi la mention « et du Fils ».

Au 8e siècle, Charlemagne apprend que dans la partie orientale de l’Eglise on ne dit pas « … et du Fils ». Il s’offusque croyant que les grecs ont modifié le texte de la confession de foi, d’autant (comme nous allons le montrer, qu’il ne porte pas les grecs dans son cœur). Il écrit au pape lui suggérant de condamner le patriarche de Constantinople. Le Pape Hadrien 1e refuse assurant de la foi légitime du patriarche.

En 796-797, un concile local se tient à Fréjus-Friuli et réaffirme que l’Esprit Saint procède du Père et du Fils (bien que Paulin d’Aquilée reconnut que le terme Filioque était absent du texte original).

Au 9e siècle, des moines occidentaux et orientaux se rencontrent à Jérusalem, les occidentaux découvrent alors que les orientaux ne disent pas « … et du Fils » et s’empressent d’avertir le pape que les orientaux ont changé le texte de la confession de foi. Ce qui motive Charlemagne dans sa lutte contre Constantinople est bien d’avantage politique que spirituel. En effet, en l’an 800 Charlemagne se fait couronner empereur romain germanique par le pape. Cette décision unilatérale offusque les orientaux qui voient l’empire divisé avec deux empereurs. Ils refusent donc de reconnaître à Charlemagne le titre d’empereur et critiquent le pape pour ce geste qui divise un peu plus l’empire. Les positions religieuses de Charlemagne ont un sérieux goût de vengeance politique.
Le Pape reconnaît que selon lui l’Esprit procède du Père et du Fils, mais il rejette l’ajout du filioque dans la confession de foi. A Rome on continue à dire le texte original sans l’ajout.

809-810 : Charlemagne convoque un nouveau Concile à Aix-la-Chapelle pour affirmer que l’Esprit procède bien du Père et du Fils. Mais le pape ne plie pas et refuse toujours d’inclure filioque  dans la liturgie et recommande à la cour de Charlemagne d’en faire autant. Le Pape fit d’ailleurs graver sur des plaques d’argent le Credo sans la mention du filioque. Le conflit en réalité ne se situe pas tant entre Rome et Constantinople, mais entre le royaume des Francs et les Byzantins.
En orient, on se suit pas vraiment l’évolution de la pensée trinitaire de l’occident jusqu’à ce que le patriarche Photius de Constantinople ne dénonce ouvertement se rajout du filioque au texte original de la confession de foi. Une crise éclata entre Rome et Constantinople. Après la tempête, l’Eglise retrouva son calme. Un concile se tint à Constantinople en présence des représentant de Rome, ce concile confirma la version originale de 381 sans le filioque  et condamna « quiconque composerait une autre confession de foi. » Toutefois la version avec le filioque resta en usage dans certaines parties de l’Europe contre la décision du pape Jean VIII.

1014 : un nouvel empereur est couronné, et durant la messe le Credo est chanté avec le filioque. Rome cède finalement à la pression des empereurs germaniques et accepte le credo avec l’ajout « … et du Fils » au sujet de la procession de l’Esprit Saint.

En 1054, le cardinal Humbert de Silva Candida, dans une lettre signée par le pape mais écrite de sa main, accusa le patriarche et les grecs d’avoir supprimé le filioque du texte original de 381. Entrant dans l’Eglise Sainte-Sophie il déposa sur l’autel une bulle (écrite de sa main) excommuniant le patriarche de Constantinople notamment pour le motif d’omettre le filioque dans le Credo. Le patriarche comprenant que l’anathème ne venait pas du pape, anathémisa la délégation du cardinal Humbert (mais non le pape). Si cet épisode aggrava encore la situation entre Rome et Constantinople, l’événement fut de courte durée et moins grave que ce que l’on imagine. En réalité, en 1054, il n’y a pas vraiment de schisme, pas plus qu’avant et pas plus qu’après. La séparation entre Rome et Constantinople est alors plus théorique que réelle, les relations amicales entre Rome et Constantinople persistèrent malgré la regrettable action du Cardinal Humbert.

C’est en 1204 que le point de non retour est atteint : les Croisés occidentaux en route pour la 4e croisade profitent du passage par Constantinople pour assiéger puis piller la ville. On appelle cet événement le sac de Constantinople. La raison n’est pas théologique, mais commerciale : Constantinople était la principale rivale commerciale de Venise. Les relations furent durablement endommagées mais non totalement détruites. Cela ouvrit une plaie durable. Nicétas Choniates écrivit à ce sujet  que même les Sarrasins sont bons et compatissants comparés à ces hommes qui portent la croix du Christ sur leurs épaules. C’est donc de 1204 qu’il faut véritable dater la division entre l’Eglise d’orient et l’Eglise d’occident, et non de 1054 qui n’est qu’un conflit de moindre ampleur.
Plusieurs événements du 20e siècle montrent une ouverture de Rome à revenir au texte premier de la confession de foi et à supprimer le filioque :

1987 : le patriarche Dimitrios 1e visite Rome, le pape et le patriarche disent le Credo sans le filioque.
1995 : le patriarche Bartholomée 1e visite Rome, le pape et le patriarche disent le Credo sans le filioque.
2002 : Jean-Paul II et le patriarche roumain ne disent pas non plus le filioque.
Nettement plus important que ces anecdotes, un fait marquant arrive en 2000 ou la Congrégation pour la doctrine de la foi ouvre son document Dominus Jesus avec le Credo dans la version de 381 sans l’ajout du filioque. La déclaration est signée par Joseph Ratzinger, futur pape Benoît XVI.
De même en 1995, le Vatican publia le texte suivant : 

  • «L'Église catholique reconnaît la valeur conciliaire œcuménique, normative et irrévocable, comme expression de l'unique foi commune de l'Église et de tous les chrétiens, du symbole professé en grec à Constantinople en 381 par le IIe concile œcuménique. Aucune profession de foi propre à une tradition liturgique particulière ne peut contredire cette expression de la foi enseignée et professée par l'Église indivise. Ce symbole confesse sur la base de Jn 15, 26 l'Esprit «το εκ του πατρός εκπoρευόμενον» («qui tire son origine du Père»). Le Père seul est le principe sans principe (αρχή άναρχος) des deux autres personnes trinitaires, l'unique source (πηγή) du Fils et du Saint-Esprit. Le Saint-Esprit tire donc son origine du Père seul (εκ μόνον του πατρός) de manière principielle propre et immédiate» (« Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit », in Irénikon, 3/1995.)

Quoique l’Eglise de Rome ne considère par le filioque en contradiction avec le Credo, elle reconnaît néanmoins que c’est la version grecque de 381 qui seule est normative en matière de foi.

Ce rapide parcours historique a permis de montrer que l’ajout du filioque est d’avantage dû à une méconnaissance occidentale du symbole grec puisque qu’on croyait alors que la mention « … et du Fils » en faisait partie, et à l’ingérence et pression exercées par les empereurs romains germaniques, à commencer par Charlemagne, sur l’Eglise, sur ses théologiens et même sur le pape.



Eléments théologiques

Du point de vue théologique, deux courants théologiques présentent deux approches de la querelle du filioque. La première tend à vouloir montrer que le conflit n’est pas d’abord théologique mais qu’il relève d’une mécompréhension, d’un usage différent du vocabulaire, et qu’au final les deux positions, occidentale et orientale, disent la même chose mais différemment. La seconde approche (qu’on trouve généralement plutôt chez les orientaux) prétend qu’il y a une incompatibilité totale et une différence théologique fondamentale entre l’orient et l’occident sur cette question du filioque.
Nous situerons l’analyse de cette question sur un chemin de crête entre ses deux écueils. En effet, le débat ne nous semble ni une simplement question de vocabulaire entre deux partis qui sont d’accord mais qui l’ignorent, ni une division insurmontable de l’ordre d’une véritable hérésie.

Le catholicisme romain, se basant sur des textes bibliques qui affirment que l’Esprit Saint est l’Esprit du Christ (Rom 8,9 ; Phi 1,19) et que c’est le Christ qui l’envoie ; ce que l’orthodoxie ne nie d’ailleurs à aucun moment en refusant le filioque. C’est surtout à la suite des successeurs médiévaux d’Augustin, que l’Eglise catholique a finalement, après beaucoup de résistance de la part des papes, ajouté la mention que l’Esprit procède non seulement du Père mais aussi du Fils. Ce faisant ils cherchaient à insister d'avantage sur la divinité du Christ. Cette mention apparaît semble-t-il pour la première fois en Espagne au VIe, dans le but de lutter contre l’arianisme (qui conteste la nature divine du Christ).
Toutefois il faut revenir sur les écrits d’Augustin, car s’il y a bien des passages qui mentionnent l’idée que l’Esprit procède du Père et du Fils, d’autres passages remettent clairement en question cette assertion :

  • « L’Esprit est l’Esprit du Père et du Fils […] mais le Christ n’a pas dit « l’Esprit que le Père enverra d’auprès de moi » mais « l’Esprit que je vous enverrai d’auprès du Père », voulant montrer ainsi que l’origine de toute réalité divine est le Père. » (Augustin, De Trinitate, IV, 29.) 
  • Ou encore contre les Ariens il écrit : « L’Esprit peut nous enseigner tout ce que le Fils a dit, parce qu’Il vient du même Père. »


On a trop souvent fait une lecture filioquiste d’Augustin alors que ce n’est pas si tranché que cela.
S’il existe des arguments théologiques en faveur du filioque, il faut constater que ce ne sont pas d’abord ceux-ci qui ont présidé à l’ajout dans le Credo, mais bien des événements historiques d’avantage provoqués par des considérations politiques que spirituelles, notamment par la pression des empereurs romains germaniques.

L’orthodoxie conteste l’ajout du Filioque pour deux raisons :
La première tient au fait que le Credo de 381 (dans son texte grec) est la confession de foi normative de l’Eglise, décidée lors d’un concile œcuménique. Elle est la base de la foi de l’Eglise et ne saurait être changée unilatéralement (d’autant que comme nous l’avons montré c’est d’avantage le fait des empereurs germaniques que le fait du Pape). Cette adjonction est un coup porté à l’unité spirituelle de l’Eglise (à défaut d’une unité réelle qui avait depuis longtemps disparu).

La deuxième raison est que le filioque est théologiquement inexact en tant que dogme (les plus conservateurs disent que le filioque est une hérésie, les plus modérés qu’il est admissible en tant qu’opinion théologique pourvu qu’il soit bien expliqué mais non pas en tant que dogme normativement confessé).

Du point de vue biblique, la foi orthodoxe se fonde sur le texte de Jean 15,26 : «Quand viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père (παρα του πατρός)  l’Esprit de vérité qui procède du Père. (παρα του πατρός ἐκπορεύεται) ». S’il est effectivement dit que le Christ envoie l’Esprit, ce n’est pas d’auprès de lui-même mais d’auprès du Père. L’Esprit vient du Père de manière différente que le Fils vient du Père. L’Esprit vient du Père par procession et le Fils par génération. S’il est important de distinguer ces modes c’est que l’orthodoxie cherche toujours à établir les Personnes de la Trinité distinction sans jamais les confondre. Ces deux relations au Père sont simultanées, l’une impliquant l’autre. L’Esprit vient envoyé par le Fils, mais le Fils vient par l’action de l’Esprit Saint. C’est pourquoi dire que l’Esprit procède du Fils établit une asymétrie au sein de la Trinité, venant arriver l’Esprit non plus simultanément mais secondairement.

Pour les pères de l’Eglise, Dieu le Père est principe (cause) de toute chose, donc origine (μόνη ἀρχή). C’est cette affirmation que Dieu est essentiellement UN, sans quoi on induit une dualité (deux principes).
Pour les pères, le Fils et l’Esprit sont les deux mains du Père. Mais toute image est limitée pour expliquer un mystère qui nous dépasse. Le Fils a été engendré par le Père, l’Esprit Saint procède du Père, tout cela dans l’éternité sans qu’il y ait une chronologie entre le Père, le Fils et l’Esprit. Comme le rappelle V. Lossky « La Trinité n’est pas le résultat d’un processus mais une donnée primordiale » (Lossky, p.52). En réalité, chaque relation entre deux personnes de la Trinité présuppose la troisième. Le Père engendre le Fils en même temps qu’il produit l’Esprit,  de même on doit envisager la procession de l’Esprit en même temps que le Père engendre le Fils. Dire que l’Esprit procède du Père et du Fils revient à déséquilibrer ces relations en enlevant la simultanéité du Fils et de l’Esprit. En disant que le Fils procède du Père, et que l’Esprit procède du Père et du Fils la Trinité est déséquilibrée puisque dans la relation Père-Fils l’Esprit n’apparaît pas, on se retrouve avec une dyade au lieu d’une triade. Ainsi pour la procession de l’Esprit, le Père et le Fils fusionnent ce qui est contraire au principe de distinction des Personnes de la Trinité.

C’est très tardivement que le filioque sera couvert d’une interprétation véritablement inacceptable, c’est Anselme de Cantorbéry qui définira l’Esprit en opposition aux deux autres personnes de la Trinité. Selon lui, puisqu’on dit que c’est l’Esprit du Père, et que c’est l’Esprit du Fils, mais qu’on ne dit pas « le Fils de l’Esprit », alors l’Esprit est à penser en opposition aux deux premiers, procédant du Père et du Fils. Cette idée ne sera pas reprise par Saint Bernard. Il faudra attendre Thomas d’Aquin pour reprendre les idées d’Anselme, c’est alors que le filioque s’introduit dans le dogme lui-même. L’Esprit semble alors réduit à un lien d’amour entre le Père et le Fils (nexus amoris ou vinculum caritatis). L’Esprit est alors confessé comme l’unité du Père et du Fils. La triade est perdue, on se retrouve avec une dyade. Peut-on encore parler de Trinité, alors qu’on se retrouve avec une Binité liée par l’Esprit non plus réellement Personne mais simple lien d’amour ? L’Esprit devient une fonction divine plus qu’une Personne.


Une certaine interprétation du filioque est-elle acceptable pour les orthodoxes ?
C’est ce qu’a admis Maxime le Confesseur lors d’un voyage à Rome. Il fait par de ces inquiétude au pape Martin concernant cet ajout du filioque. Les théologiens romains présentent alors des textes d’Augustin et de Cyrille d’Alexandrie pour montrer que l’Esprit Saint a pour seul principe le Père et que le Fils n’est pas la cause de l’Esprit. 
Maxime s'en revient rassuré:
« Les Occidentaux citaient les Pères romains, ainsi que Cyrille d'Alexandrie. Ils prouvent par là qu'ils ne se représentent pas le Fils comme cause de l'Esprit, car ils savent que le Père seul est cause du Fils et de l'Esprit Saint. »
Les latins expliquent vouloir souligner simplement que le Fils envoie l’Esprit. Il faudrait alors dire non pas que l’Esprit procède du Père et du Fils, mais qu’il procède du Père par le Fils pour montrer la médiation économique du Fils. L’intention est louable, mais cela entre dans l’idée d’une « économie du salut» (donc de la Trinité dans l’histoire) là où le Credo propose une définition essentielle ou éternelle. 
Le filioque bien compris (tel qu’on le trouve parfois mentionné chez les pères) cherche a dire que l’Esprit procède du Père et qu’il est envoyé par le Fils. Il s’agirait donc d’ajuster la formulation pour éviter toute ambiguïté. Si cela est vrai, et tout à fait admissible, il demeure que cette assertion qui concerne l’économie divine et non la procession éternelle, ne peut être telle qu’elle insérée dans le symbole de Nicée-Constantinople : pour des raisons historiques (seul un Concile œcuménique pourrait modifier le texte), et pour des raisons théologiques : dire que l’Esprit procède du Père et du Fils est faux, au mieux on pourrait dire que l’Esprit procède du Père par le Fils (en tant que ce dernier l’envoie sur les disciples et non que l'Esprit tient son existence du Fils).


Conclusion
Si le filioque a été le point de cristallisation des tensions entre l’occident et l’orient chrétiens, ce sont des questions d’avantages politiques que spirituelles qui, à l’origine, ont divisé la chrétienté. Il faut attendre le XIIIe siècle pour que la division soit réellement consommée, tant sur le plan pratique que spirituel à la suite du sac de Constantinople.
Les récents rapprochements sont encourageants, et la certaine ouverture du Vatican à revenir au Symbole premier de Nicée-Constantinople tend à montrer que le filioque est une adjonction explanatoire (elle ne cherche pas à changer le sens premier du texte) et qu’elle n’est donc pas normative, et du coup pas nécessaire. Puisque l’on peut s’en passer et qu’elle véhicule d’avantage de confusion théologique que de clarté.
Il semble évident de devoir prendre la version du Credo de 381. L’adjonction du filioque au final est plus superfétatoire (ajout inutile) qu’explanatoire (ajout qui complète sans changer le sens).
Notons pour terminer que nombre d’Eglises protestantes ont repris le texte premier. Dans la Communion anglicane, le filioque est discuté depuis le 17e siècle, cela aboutit en 1978 à la « Recommandation de la conférence de Lambeth » en faveur du retrait du filioque. Dans les Eglises réformées, la confession de foi de Nicée-Constantinople se trouve sans le filioque dans le nouveau recueil des Eglises protestantes francophones.



Bibliographie :

Sources 

SAINT AUGUSTIN, De Trinitate, Paris, Desclée de Brouwer, 1955.

SAINT BASILE DE CESAREE, Traité du Saint Esprit, Paris, Cerf, 1946.

« Le Filioque : une question qui divise l’Eglise ? », Déclaration commune de la Commission théologique orthodoxe-catholique d’Amérique du Nord, Washington DC, Saint Paul’s College, 25 octobre 2003.

« Declaratio DOMINUS IESUS. De Iesu Christi atque Ecclesiae unicitate et universalitate salvifica », Congréation pour la doctrine de la foi, Rome, 6 août 2000.

Littérature secondaire

« Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit » (texte publié dans L’Osservatore Romano, Rome, 13 septembre 1995), in Irénikon, 3/1995, Chevetogne, Tome 68, p. 356-368.

BOBRINSKOY (B.), Le Mystère de la Trinité, Paris, Cerf, 1986.

SIECIENSKI (E.), The Filioque, History of a Doctrinal Controversy, Oxford, University Press, 2010.

GARRIGUES (J.-M.), Le Saint-Esprit sceau de la Trinité. Le Filioque et l’originalité trinitaire de l’Esprit dans sa personne et dans sa mission.

GARRIGUES (J.-M.), Clarification sur la procession du Saint-Esprit et l’enseignement du concile de Florence.

LARCHET (J.C), « A propos de la récente “clarification“ du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens », in Theologia, 4/1999, Athènes.

LOSSKY (V.), Théologie dogmatique, Paris, Cerf, 2012, p. 39-74.




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