Il est très rare que je prenne la parole personnellement dans mon blog, je me contente habituellement de publier des textes patristiques qui parlent d'eux-mêmes sans que je n'aie rien à ajouter. Aujourd'hui je souhaite écrire une réponse à un article que vous trouverez ici :
http://philippegolaz.ch/bapteme-enfant/
Le baptême des enfants… et si ce n'était pas si compliqué que ça ?
Il y a peu mon frère et ami Philippe postait un article très intéressant sur la question du baptême des enfants. On y retrouve son sens du consensus si bien que sur une question tant sujette à polémique il s'en sort magnifiquement en ne se mettant à dos ni les anabaptistes, ni les pédobaptistes, ni les baptisés, ni les rebaptisé, ni les débaptisés.
Si j'admire son sens de la paix et du consensus, je reste un peu sur ma faim. Aussi, et au risque de passer pour l'éternel patrologue de service, je souhaite proposer ici quelques éléments de réflexion et éclairages patristiques sur la question. Philippe saura y voir le signe de mon amitié.
Les multiples sens et effets du baptême
Comme le relève très justement l'auteur du blog
Théologiquement Vôtre, le sacrement du baptême, comme tout sacrement est le
signe visible d'une grâce invisible, ou comme le dit Augustin:
« Le signe est quelque chose qui, outre l’objet qu’il offre à nos sens, nous fait penser à une chose différente de lui-même. Ainsi lorsque nous trouvons des pas marqués sur le sol, nous concluons aussitôt que quelqu’un a passé par là, et qu’il y a laissé ces traces. » (Saint Augustin, de Doct. Christ., 1. 2.)
Le signe renvoie au signifié non comme simple symbole mais comme porteur de ce signifié, de manière concrète et efficace. En l'occurrence l'eau dans laquelle est plongé (ou de laquelle est aspergé) le catéchumène signifie effectivement la descente dans la mort et le relèvement pour la vie en plénitude (Rm 6,3-5). L'eau, de par les dangers qu'elle représente, est porteuse de cette symbolique de mort, et dans l'architecture des premières bâtisses chrétiennes le baptistère avait la forme d'une croix. Elle est également porteuse de vie ainsi que le relève Jean-Claude Larchet:
"Le baptistère est aussi comme la matrice, et l'eau comme le liquide amniotique dans lequel est immergé - tel l'enfant dans le sein maternel - celui qui va voir le jour dans un autre milieu, va naître à une vie nouvelle." (LARCHET J.-C, La vie sacramentelle, Paris, Cerf, 2014, p. 47.)
Il manque cependant une autre dimension, sans quoi le sens du baptême est incomplet: l'eau, en plus d'être un symbole de mort et de vie, est un symbole de purification. C'est d'ailleurs le sens premier du verbe grec βαπτίζω (plonger, laver). Le baptisé est lavé des souillures et marques de sa condition déchue. S'il est vrai que la question du péché originel est devenue taboue et que rares seraient les pasteurs sains d'esprit prêts en parler lors d'une préparation de baptême, il n'en demeure pas moins que la dimension de purification fait partie intégrante du sens chrétien du baptême. Pour les Pères des premiers siècles, le baptisé est véritablement débarrassé du péché originel (présent en germe même dans l'enfant) dont il a hérité. Car de même qu'il y a un héritage génétique, il y a un héritage spirituel. Cela ne signifie pas que l'homme ne sera plus pécheur, mais qu'il ne sera plus esclave du péché, qu'il aura la capacité objective de s'en libérer pratiquement. Et il reçoit cette vie nouvelle dont a parlé Philippe. Larchet écrit au sujet de ce que l'homme reçoit au baptême:
"Cela ne signifie pas que l'homme a acquis, dès qu'il est baptisé, la parfaite ressemblance au Christ, mais qu'il reçoit de nouveau en germe toute les vertus, ainsi que la capacité de les faire croître jusqu'à ce que la ressemblance, reçue comme une esquisse, trouve son accomplissement." (LARCHET J.-C, La vie sacramentelle, Paris, Cerf, 2014, p. 57.)
Un autre effet du baptême pour les Pères est que le baptisé devient membre du corps du Christ qu'est l'Eglise. Ceci explique la pratique orthodoxe de donner la communion même aux petits enfants et ce immédiatement après le baptême. C'est par le baptême que le catéchumène entre véritablement dans l'Eglise et en devient partie prenante, car en étant baptisé il a revêtu le Christ. "Vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ" (Gal 3, 27). En cela, la présentation ne saurait avoir le même sens d'intégration que le baptême.
Un mot du baptême d'enfant dans la Bible
L'auteur de l'article auquel je réponds ici conclut, il me semble, un peu rapidement que tous les baptêmes dans la Bible sont des baptêmes d'adultes. En particulier, il me semble qu'il vaille la peine de s'arrêter un court instant sur le texte d'Actes 16, 27 à 33, notamment sur le verset 33b: "Il reçut le baptême, lui et tous les siens (αὐτὀς καὶ οἱ αὐτοῦ πάντες)." Et au verset 32, Luc insiste encore: "Tous ceux qui étaient dans la maison". A moins qu'il s'agisse ici d'une anomalie rare pour l'époque, l'exégète ne peut ignorer que la "maisonnée " antique se compose du père et de la mère de famille ainsi que des enfants, des serviteurs et servantes ainsi que des enfants de ceux-ci. Une maisonnée où il n'y aurait aucun enfant n'est que peu crédible. Or ici c'est bien toute la maison qui est baptisée (et Luc semble y tenir par la répétition du mot "tous" v. 32 et 33). S'il n'est pas explicitement dit qu'il y avait des enfants, le lecteur antique le déduisait légitimement, sans quoi l'évangéliste n'aurait pas manqué de précisé que les enfants ne furent pas baptisés s'il avait poursuivit une idée anabaptiste. Si ce seul texte ne suffit peut-être pas à fonder bibliquement le baptême des enfants (d'autres textes le permettent bien d'avantage), il ne permet pas d'écarter l'idée d'un baptême d'enfants dans la Bible. Calvin l'interprète d'ailleurs en disant que la foi d'un homme à suivit à le sauver lui et sa famille et à permettre le baptême de tous.
Le baptême de Jésus peut-il être modélisant ?
La présentation a effet un magnifique fondement biblique, la présentation au Temple. C'est ce que les Evangiles relatent avec cet épisode très touchant où Jésus est accueilli dans les bras de Syméon. En effet, Jésus a été présenté enfant (comme tous les petits juifs de son époque). La logique développée dans l'article semble proposé le parcours de Jésus présenté enfant et baptisé adulte comme modèle de ces étapes pour nous. Il me semble que le baptême de Jésus ne peut pas être comparé au nôtre dans la mesure où sa signification, son sens et sa fonction sont totalement différents de notre baptême: Jésus n'entre pas dans une démarche de repentance, de purification de son péché, de mort de son ancienne nature, ou de quoi que ce soit de ce genre.
Le baptême du Christ n'est pas l'événement où il est purifié mais où il purifie. Il n'est pas lavé du péché, mais au contraire il en est revêtu à ce moment-là. Il sort des eaux couvert du péché de l'humanité, ce qui permet au Baptiste de dire: "Voici l'agneau de Dieu qui porte/enlève (synonymes en grec) le péché du monde" (Jean 1,29). Il le porte, il l'a sur lui. Si ce baptême intervient à l'âge adulte, il intervient surtout au début de son ministère. Le baptême de Christ, de part son sens, ne peut être mis dans la même logique que notre baptême.
La présentation/bénédiction d'enfant ne permet pas de sortir de la logique binaire "baptême"/ pas baptême, mais elle équivaut à choisir l'option "pas baptême".
Philippe, dans son article, semble proposer la présentation comme une alternative au choix entre "baptême" d'une part et "pas baptême" d'autre part. On ne saurait que louer cette volonté de dépasser l'opposition binaire par le troisième terme. Encore faut-il qu'il s'agisse réellement d'un troisième terme. Or le sentiment que j'ai eu à la lecture dudit article c'est qu'il s'agit d'avantage d'un compromis que d'un troisième terme. Le compromis permet de concilier les deux idées de baptême et non-baptême dans une forme de
ni pour ni contre, bien au contraire, pour éviter de trancher et de se décider réellement, ou en l'occurrence de mettre les parents et familles devant un tel choix. On ne veut pas vraiment baptiser, mais on veut quand même faire quelque chose, alors va pour la présentation. Ma crainte lorsque la présentation est vécue comme cela c'est le manque de clarté (comme lorsque dans un même culte certains font leur confirmation et que d'autres ne confirment pas, mais qu'on dit quand même que c'est la confirmation), mais ayons confiance que les ministres savent clarifier les choses. En revanche cela n'enlève pas le problème que la présentation reste, dans ce cas de figure un baptême sans en être totalement un. La différence entre les deux me semble bien difficile à tracer. Si comme l'écrit Philippe être baptisé "ne donne pas un avantage particulier sur les autres"et si les non-baptisés "ne sont pas moins membre de l'Eglise et moins enfants de Dieu que ceux qui l'ont été" et si lors de la présentation, "il s'agit d'appeler la bénédiction de Dieu sur l'enfant et sa famille, pour les parents de prendre un engagement, et pour la communauté de les accueillir dans la famille chrétienne", quelle différence avec le baptême ? et en quoi le baptême est-il encore nécessaire ou utile ?
Si au final être baptisé ou non ne change rien pour l'enfant, et si comme me le précisait Philippe "le fait d'être baptisé ou non ne va pas déterminer la capacité de Dieu d'intervenir dans la vie de la personne", n'est-ce pas rendre le baptême inutile et inefficace ? C'est ce que conclut l'auteur: "Le baptême ne change rien dans la vie du baptisé dans le cas d'un baptême d'enfant. […] La différence se marque plus tard lorsqu'il y a un engagement volontaire ancré dans la foi lors de la confirmation ou du baptême d'adulte."
Il me semble que la présentation gagne tout son sens en n'étant pas proposée comme un moyen terme entre le baptême et le non-baptême mais comme une démarche tout à fait différente. Et c'est là que nous nous rejoignons Philippe et moi il me semble. Comme l'a écrit Carolina Costa: "l'essentiel reste toujours dans le sens de la demande et de la démarche des familles". Au ministre donc de discerner s'il s'agit plutôt d'une demande de baptême ou de présentation. Mais gardons-nous de proposer la présentation comme un moyen terme confus entre le baptême et le non-baptême. D'autant que la présentation ne permet pas de sortir de l'opposition baptême / pas baptême, puisque choisir la présentation revient à prendre l'option "pas baptême". Mais au final… baptême ou pas baptême à quoi bon se poser la question si ça ne change rien ?
La présentation et le baptême: l'éclairage des Pères
La différence entre la présentation et le baptême réside dans la dimension du sacrement. La présentation est certes une bénédiction, un accueil et en cela il est un geste magnifique, beau et porteur de sens. Pour les Pères le sacrement est, tout comme pour les Réformateurs qui en sont les héritiers,
signe visible d'une grâce invisible. Mais il comporte également une
efficacité, à savoir que pour les Pères la Parole est performative. La Parole fait ce qu'elle dit, au sens où dans la Genèse "Dieu dit… cela fut". Toutefois, les Pères grecs n'entrent pas dans la logique
ex opere operato de la théologie catholique (en résumé, le sacrement est opérant en lui-même indépendamment de toute circonstance extérieure). Pour les Pères grecs le sacrement est efficace, mais la foi (ou en l'occurrence le manque de foi) peut limiter l'effet de celui-ci. On évite ainsi de tomber dans une idée magique du sacrement et du baptême comme une protection divine posée sur l'enfant lui assurant bonheur, santé et prospérité.
Cependant l'enseignement des Pères affirme que le baptême détermine la capacité de Dieu à intervenir dans la vie de la personne. C'est d'ailleurs pour cela que le baptême a été institué: le baptême est l'intervention de Dieu dans la vie de l'homme. Pour les Pères le baptême:
- Réconcilie l'homme avec Dieu et l'établit dans Son intimité (Nicolas Cabasilas)
- L'homme réintègre, de manière potentielle, l'état adamique originel (Syméon le Nouveau Théologien)
- Retrouve la familiarité avec Dieu perdue à la chute (Grégoire de Nysse)
- L'homme revêt le Christ, comme dit dans Galates 3,27
- Il devient participant de Dieu (Cyrille de Jérusalem) et conforme à Lui (Jean Chrysostome) ; cette idée se retrouve également chez Calvin.
- Il reçoit l'adoption filiale (Marc le Moine) et entre dans la famille de Dieu (Grégoire de Nysse)
- La plénitude de la grâce et de la vie lui est communiquée (Marc le Moine)
- Et Denys l'Aréopagite pour conclure qui dit que le baptême est moins notre naissance en Dieu que la naissance de Dieu en nous. (Denys l'Aréopagite, Hiérarchie Ecclésiastique, II, 1.)
Ainsi en résumé, si la présentation est un geste
porteur de sens, le baptême est quand à lui
porteur de puissance. Calvin ne dit d'ailleurs pas autre chose lorsqu'il affirme que le baptême remet de manière effective le péché originel et qu'il sanctifie le baptisé.
Dans le catéchisme de Genève de 1545, il affirme que le baptême:
- Purifie du péché (Q. 325) "Dieu ne promet pas en vain. Par quoi il est certain qu'au baptême la rémission des péchés nous est offerte et que nous la recevons". (Q. 328)
- Mortifie notre ancienne nature pour nous faire revivre en Christ (Q. 326)
- Nous revêt de Jésus-Christ et confère l'Esprit Saint (Q. 331)
- Nous incorpore à l'Eglise chrétienne (Q. 74 du catéchisme de Heidelberg)
En conclusion
Le baptême et la présentation ne sont pas des réalités du même ordre. Selon moi il convient d'être très clair à ce sujet si on propose baptême vs. présentation ou lieu de baptême vs. pas baptême. Car en réalité même en ajoutant la présentation à l'équation, cela revient quand même à la question baptême vs. pas baptême. Choisir la présentation, c'est choisir de ne pas baptiser. Sans quoi il faut admettre que dans la pratique la présentation est trop souvent vue comme un demi-baptême, baptême léger, baptême sec… ou tout autre qualificatif inapproprié qu'on lui donne parfois, et dans tout les cas un moyen terme douteux. Le geste de la présentation est trop beau et fort pour qu'il soit tinté d'une image de baptême au rabais comme compromis lorsqu'on arrive pas à se décider.
Je remercie Philippe pour son article qui m'a permis de me replonger dans la théologie sacramentelle des Pères de l'Eglise et suis sûr qu'il ne verra dans cette réponse que le témoignage de ma profonde amitié.