par Daniel Bourguet
Une Eglise qui veut
grandir et qui formule ainsi sa volonté serait-elle une Eglise qui veut prendre
en main son avenir, comme si cet avenir lui appartenait? « Nous voulons
grandir! » Ecoutons bien ce que nous sommes en train de dire!
Un jour, Jacques et
Jean, fils de Zébédée, se sont permis d’exprimer leur volonté, leur désir, et
d’en parler au Christ: « Seigneur, nous voudrions être parmi les grands,
et siéger à ta droite et à ta gauche… » Vous ne savez pas ce que vous
demandez! Si vous voulez être grands, soyez donc petits! Si tu veux grandir,
agenouille-toi devant les autres pour leur laver les pieds. C’est à genoux que
l’Eglise sera grande!
Un jour, les
Madianites se mobilisèrent pour écraser Israël (Jg 6:33). Devant ce danger,
Gédéon rassembla toutes les troupes d’Israël, toutes ses forces humaines. Il se
trouva alors à la tête de 32 000 hommes, ce qui n’était pas énorme devant
l’ennemi, qui en avait plus de 100 000! (Cf. Jg 8:10) Et nous, devant
l’ampleur de nos combats à mener, il nous faut bien aussi être le plus nombreux
possible et rassembler toutes nos forces!
Vous savez ce que
Dieu a dit à propos de ces 32 000 Israélites: « Vous êtes trop
nombreux! » (Jg 7:2) Et il a commenté son point de vue en disant:
« Si vous êtes victorieux, vous allez en tirer orgueil à mes dépens. Et
Dieu a donné l’ordre de renvoyer tous les peureux. Il ne resta que 10 000
hommes. « C’est encore trop », dit Dieu; et il fit un tri sévère pour
ne garder que 300 hommes. Et avec ces 300 hommes, Dieu remporta la victoire. Ce
texte est un excellent remède contre les complexes d’infériorité, ou même les
bouffées d’orgueil, ou la peur de disparaître.
J’ai relu pour
aujourd’hui tout le livre des Actes, afin de découvrir comment l’Eglise a
grandi, ou encore comment elle a « voulu grandir »! Eh bien! Elle n’a
jamais voulu grandir. Elle a toujours été dépassée par cette question, parce
que cela ne lui appartient pas de vouloir grandir.
Pourtant, le livre
des Actes décrit minutieusement la croissance étonnante du nombre des
disciples, avec des chiffres à l’appui. Mais, cette croissance n’est jamais
présentée comme le fait de l’Eglise, comme le résultat de ses décisions
synodales, ses stratégies ou plans de croissance. Ce n’était pas à l’ordre du
jour!
La croissance de
l’Eglise n’est pas le fait de l’Eglise, mais le fait de Dieu. Ce n’est pas le
projet de l’Eglise, mais celui de Dieu. Ce n’est pas une décision synodale,
mais une décision de Dieu. C’est l’affaire de Dieu et de Dieu seul! Si l’Eglise
grandit, c’est Dieu qui la fait grandir.
D’une certaine
manière, une Eglise qui affiche trop sa volonté de grandir court le risque
d’être une Eglise qui se prend pour Dieu.
Au début de
l’Eglise, le jour de la Pentecôte, il ne nous est pas parlé de 3000 hommes qui
s’ajoutèrent à l’Eglise (Ac 3:41), mais « 3000 hommes furent
ajoutés ». Et ajoutés par qui? Non pas par le talent de Pierre, ou son
charisme d’évangéliste, mais par Dieu. Ce discret verbe passif devient, en
effet, plus précis quelques versets plus loin, dans les mots qui reflètent bien
le message du livre des Actes: « Dieu ajoutait chaque jour les personnes
sauvées à la communauté. » (Ac 2:47)
Je crois que le
message du livre des Actes est très clair: si l’Eglise veut grandir, qu’elle se
tourne vers Dieu pour le lui dire! Qu’elle ne se réunisse donc pas en synodes
pour en débattre, élaborer des stratégies, mettre sur pied des programmes de
croissance. Non! Qu’elle organise plutôt une réunion de prière, car un tel
désir ne peut se dire qu’à Dieu: « Seigneur, nous voudrions grandir… si
c’est bien ce que tu veux, toi aussi! »
C’est à genoux que
l’Eglise sera la plus grande! Sa véritable grandeur est dans son humble amour.
Si nous rêvons d’une autre grandeur, n’oublions pas l’histoire de Gédéon et la
remarque de Dieu: « Si vous êtes aussi nombreux que vous le voulez, vous
allez en tirer orgueil à mes dépens! »
Et de fait,
l’histoire de l’Eglise a maintes fois montré que l’Eglise n’a jamais su bien
grandir et qu’elle a bien souvent été tentée dans sa croissance par quelques
démons: l’orgueil ou le goût du pouvoir. « Alors, Seigneur, fais-nous
grandir… Mais, humblement, petitement! »
J’ai cherché, dans
le livre de Actes, tous les emplois du verbe « grandir » (auxano).
Je vous fais part de mes découvertes et de ma surprise. On trouve ce verbe
quatre fois.
Une fois dans le
discours d’Etienne (en 7:17), pour signaler que le peuple d’Israël a grandi en
Egypte; ce qui est présenté alors comme l’accomplissement par Dieu de sa
promesse. C’est donc bien Dieu qui a fait grandir son peuple: « Le temps
approchait où devait s’accomplir la promesse que Dieu avait faite à Abraham, et
le peuple grandit et se multiplia. » Gandir, c’est l’œuvre de Dieu et
c’est aussi sa bénédiction.
Les trois autres
emplois ne s’appliquent pas à l’Eglise, mais tous les trois à la Parole de
Dieu. Et cela est dit comme un refrain qui vient scander le contenu des Actes:
« La Parole de Dieu grandissait » (6:7); même chose en 12:24, et puis
encore en 19:20, c’est-à-dire chaque fois à des moments clés de la vie de
l’Eglise.
Ce qui intéresse
Luc, c’est secondairement la croissance de l’Eglise, et prioritairement la
croissance de la Parole, c’est-à-dire sa propagation. La croissance de l’Eglise
est très étroitement liée à la propagation de la Parole; elle lui est
organiquement liée, elle est la conséquence, le résultat de la croissance de la
Parole ainsi que son support. Ce qui compte avant tout pour Luc, c’est la
Parole et non l’Eglise. La mission des apôtres n’est pas de faire grandir
l’Eglise, mais de propager la Parole.
Je crois que cela
est essentiel pour notre réflexion: peu importe la taille de l’Eglise, elle
grandira nécessairement si la Parole de Dieu s’étend, se répand, se propage! La
croissance de l’Eglise va de soi si la Parole grandit et se propage. L’Eglise
grandit avec la Parole qui grandit.
Si cela est
bibliquement juste, je crois que notre véritable projet théologique ne devrait
pas être « Pour une Eglise qui veut grandir », mais plutôt
« Pour une Eglise qui veut que grandisse la Parole de Dieu ». Là est
notre véritable préoccupation, notre mission, notre vocation, l’enjeu de nos
synodes, de nos stratégies, plans et autres programmes ecclésiaux.
Que l’Eglise veuille
grandir ou pas, cela m’est égal. Ce qui m’intéresse, en revanche, c’est une
Eglise qui grandit parce que la Parole de Dieu grandit, une Eglise qui est à
son service. C’est, je crois vraiment, ce qui intéresse le livre des Actes.
Cela dit, je me
propose donc maintenant de vous parler de la Parole qui grandit et, croyez-moi,
ce ne sera pas un hors sujet: en effet, en parlant de cette Parole qui grandit,
de sa croissance, je ne ferai que parler de la croissance de l’Eglise. L’Eglise
n’a pas à se préoccuper de sa propre croissance; elle ne devrait même pas
mettre cela à l’ordre du jour d’un synode! Elle doit se soucier de la
croissance de la Parole. Encore une fois, la croissance de l’Eglise, c’est
l’affaire de Dieu, et je préfère de beaucoup que cela soit son affaire plutôt
que celle d’un synode!
Donc, la Parole qui
grandit! Les trois mentions de la Parole qui grandit balisent trois étapes dans
la croissance de l’Eglise:
- D’abord en 6:7:
« La Parole de Dieu grandissait et le nombre des disciples augmentait
considérablement à Jérusalem. » On voit ici très clairement le lien indissoluble
entre la croissance de la Parole et la croissance de l’Eglise, mais avec la
primauté de la Parole. Ce verset concerne l’étape de Jérusalem, le point de
départ de l’évangélisation et de l’Eglise.
- Ensuite en 12:24;
ce verset concerne la propagation de la Parole en Judée, en Samarie et en
Syrie, jusqu’à Damas et Antioche. Cette nouvelle étape de l’expansion de la
Parole et de l’Eglise est ainsi formulée: « La Parole de Dieu grandissait
et augmentait » et non pas « l’Eglise de Dieu grandissait et
augmentait », même si les deux sont indissolublement liées.
- Enfin, après avoir
décrit la propagation de la Parole et l’expansion de l’Eglise jusqu’en Grèce,
avec Athènes et quelques autres villes, Luc nous dit, en 19:20: « Par la
force du Seigneur (et non pas le savoir-faire et la réussite des apôtres),
la Parole grandissait et se fortifiait » (et les verbes
« grandir » et « se fortifier » conviendraient pourtant
parfaitement pour l’Eglise!).
Bref, voilà une
jeune Eglise qui fait tout, avec l’aide de Dieu, pour que grandisse la Parole,
sans se préoccuper d’elle-même. La Parole et l’Eglise grandissent ensemble! Là,
je voudrais faire une remarque sur notre époque.
Dans les Actes, ceux
qui reçoivent la Parole et qui y adhèrent par leur foi forment l’Eglise. Il y a
coïncidence, superposition entre les croyants de la Parole et l’Eglise.
Aujourd’hui, il en va autrement: ceux qui croient en la Parole ne sont pas tous
dans l’Eglise. La Parole continue de se propager, et parfois indépendamment de
l’Eglise. Et les nouveaux croyants ne rejoignent pas tous l’Eglise. J’en suis
témoin. Je rencontre des gens habités par la Parole, animés par elle et qui ne
sont pas dans nos assemblées, dans les structures de l’Eglise. Certes, ils
forment l’Eglise universelle, mais il y a une interpellation pour nous, un
questionnement sur notre aptitude à grandir en accueillant ceux qui ont
accueilli la Parole…
Mais je reviens au
livre des Actes. Jérusalem, la Judée, la Samarie, la Syrie, la Grèce… cette
expansion de la Parole correspond pleinement à l’attente, à la promesse que le
Christ a faite au moment de quitter ses disciples, le jour de l’Ascension:
« Vous serez mes témoins (les porteurs de ma Parole) à Jérusalem, en
Judée, en Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre. » (1:8) Quelques
jours auparavant, Jésus avait fait le lien entre l’expansion de la Parole et la
fin des temps: « La Parole sera proclamée dans le monde entier; c’est
alors que viendra la fin. » (Mt 24:14)
La Parole est donc
allée jusqu’aux extrémités de la terre, y compris même jusque dans les
extrémités inhabitées des déserts. Cette propagation de la Parole a été
reconnue et couronnée par l’empereur Constantin lui-même, qui déclara que toute
la terre était chrétienne. Et pourtant, la fin n’est pas arrivée. Surprise! Que
se passe-t-il?
C’est alors que,
dans les extrémités les plus reculées du désert, des hommes, quelques moines,
ont découvert une autre extrémité encore non atteinte par la Parole, encore peu
prise en compte par l’Eglise: non pas l’extrémité nord, sud, est ou ouest de la
terre, mais l’extrême profondeur de la terre, ou plus exactement l’extrémité en
profondeur, au plus profond du cœur de l’homme!
La Parole a atteint
toutes les extrémités de la terre, après bien des résistances, mais il lui
reste encore à atteindre l’extrême profondeur du cœur humain et là encore avec
d’immenses résistances que nous connaissons bien, car elles sont en nous. Si la
Parole aujourd’hui s’est répandue jusqu’aux extrémités de la terre, il lui
reste aujourd’hui encore à atteindre l’extrême profondeur de nos cœurs, y
compris dans l’Eglise. La propagation de la Parole réside là aussi: il faut
qu’elle grandisse dans la profondeur de l’être humain.
La propagation de la
Parole en profondeur, cela signifie que nous sommes apôtres, missionnaires,
évangélistes de cette Parole jusqu’à l’extrême profondeur de l’homme, chez les
autres, bien sûr, mais à quoi bon, si cette évangélisation jusqu’à l’extrême
profondeur de l’être ne se fait pas en nous-mêmes, jusqu’au plus profond de
nous-mêmes?
Si l’Eglise veut
grandir, qu’elle grandisse en profondeur, c’est-à-dire que la Parole se propage
en profondeur, en chacun de nous. C’est là-dessus que je voudrais m’arrêter,
maintenant, par quelques remarques à ce sujet.
A plusieurs reprises
dans les évangiles, Jésus parle de croissance, croissance de la Parole et du
royaume; et la plupart du temps, presque toujours, il propose des images qui
parlent de croissance végétale: le grain de blé, la graine de moutarde, les
fleurs des champs qui croissent… Toutes ces images montrent que c’est Dieu qui
s’occupe de la croissance, à ceci près que cela dépend aussi de nous, à savoir
de la manière dont nous soignons la racine.
La semence qui n’a
pas de racine pousse vite, mais au premier rayon de soleil, elle fane et ne porte
aucun fruit. Pour qu’une plante grandisse, il faut que grandissent ses racines.
Pour que l’Eglise grandisse, il faut que la Parole nous travaille en
profondeur. C’est une nécessité de la croissance.
Si donc l’Eglise
veut grandir, si elle veut accompagner la Parole dans son expansion, il est
nécessaire que chacun de ses membres s’ouvre au travail en profondeur de la
Parole, sinon c’est sans lendemain. C’est clair: la croissance de l’Eglise
passe par l’approfondissement personnel de chacun de nous. Et cela, le livre
des Actes le montre aussi.
La toute première
description de la communauté chrétienne nous montre une grande attention à
l’édification personnelle des croyants: ils étaient assidus, persévérants dans
l’enseignement des apôtres, dans la prière, dans la fraction du pain, ils
étaient au temple ou chez eux pour tout ce qui vient d’être rappelé et qui
contribue magnifiquement à l’édification en profondeur de chacun. C’est avec
cette profondeur-là que la Parole a pu s’enraciner pour que grandisse l’Eglise.
Le contre-exemple
est donné par Ananias et Saphira: leur conversion a été en surface, sans les
racines profondes du don total; ils se sont gardés une partie pour eux-mêmes, à
l’écart de la Parole; et ils en sont morts.
Concrètement, la
profondeur de la Parole en nous, cela veut dire méditer cette Parole – pourquoi
pas tous les jours? -, la prier et la vivre jusqu’au fond, au quotidien. Les
racines poussent dans la prière, dans la méditation, dans le vécu, sans
relâche.
Sans cet
approfondissement d’édification personnelle, tout projet d’Eglise est vain,
creux, sans racine, superficiel et sans avenir. C’est par les racines qu’une
plante grandit. C’est dans l’approfondissement de la Parole en nous que
l’Eglise pourra grandir.
Peut-on décrire cet
enfouissement de la Parole en nous? C’est très difficile, justement parce que
c’est enfoui, invisible comme des racines. Toutefois, je vais essayer de me
risquer un peu. Il me semble que l’enfouissement de la Parole jusqu’aux
extrêmes profondeurs de notre être se fait en trois paliers inséparables:
l’affectif, le cérébral et le plus profond que je ne sais pas nommer. C’est
peut-être ce que la Bible appelle le cœur ou l’âme.
L’affectif. Souvent, le premier
contact de la Parole dans une vie concerne l’affectif, l’émotionnel. L’adhésion
première à la Parole est affective, avec beaucoup de chaleur ou de larmes
parfois, mais sans une grande profondeur.
Le cérébral. Ensuite, il y a une
mise en ordre de la foi par l’intelligence; la foi est raisonnée, éclairée,
expliquée. L’adhésion à la Parole intègre la réflexion. L’évangélisation de
l’être s’arrête à la tête, ce qui ne donne pas encore une grande profondeur.
Après la conversion
émotive et la conversion cérébrale de l’être, il y a encore tout le reste à
convertir: nos désirs, nos comportements, nos habitudes, notre manière de
servir, d’espérer, d’aimer… Tout l’inconscient que la Parole atteint aussi au
point de guérir des blessures profondes…
Nous prenons soin de
nous former, humainement, théologiquement, et c’est bien, mais cela reste
parfois cérébral. La Parole va plus loin; elle nous forme, mais surtout elle
nous transforme, et cela de plus en plus en profondeur.
Notre manière de
nous former est telle que nous finissons par scruter la Parole, par l’analyser,
par la maîtriser et parfois même par la manipuler! Nous mettons la Parole à
notre service, alors que c’est à elle de nous mettre à son service et de mettre
la main sur nous. Et c’est cela la profondeur: laisser la Parole prendre
possession de notre être, souverainement.
La Parole nous
évangélise, nous fortifie, nous nourrit, nous guérit, nous pacifie, nous
purifie, nous sanctifie, nous ouvre aux autres et à Dieu… La Parole qui grandit
en nous en profondeur, c’est tout un travail. Mais attention! Il ne s’agit pas
d’un travail sur nous-mêmes de type nombriliste, narcissique, égoïste…
Non! Ce n’est pas un
travail de nous sur nous, mais un travail de la Parole sur nous, en nous. C’est
Dieu lui-même qui poursuit son travail en nous, par sa Parole, vivifiée par
l’Esprit Saint. C’est un travail d’illumination, de guérison, de
transformation, de purification, de transfiguration, bref, de sanctification.
La sanctification, ce n’est pas se sanctifier soi-même; ce n’est pas notre
œuvre; c’est être sanctifié par Dieu, se laisser sanctifier par sa Parole.
C’est l’œuvre de Dieu, avec notre accord, notre approbation, l’acquiescement de
notre volonté.
La profondeur des
racines est cachée. La Parole s’enfouit aussi en secret dans nos vies, pour
grandir dans le secret de la prière, dans le secret de la méditation de la
Parole, dans le secret d’une vie d’un humble amour. Ce caractère secret de
l’approfondissement est un bon antidote contre toutes les bouffées d’orgueil
dans la volonté de grandir.
Paul a commencé par
passer trois ans au désert avant de se mettre à prêcher. Non pas trois années
de formation, mais trois années de transformation intérieure, en profondeur. On
tombe de cheval en quelques secondes, mais cela ne suffit pas pour transformer
le cœur en profondeur.
Encore quelques
remarques pour situer les étapes de notre intériorisation de la Parole par
rapport à notre manière d’évangéliser les autres. Celui qui en reste au stade
affectif de son adhésion à la Parole est généralement très missionnaire, très
enthousiaste pour transmettre, très soucieux et désireux d’évangéliser. Celui
qui se cantonne dans le stade cérébral perd souvent cet élan missionnaire; il
ne va auprès des autres que pour discuter des idées, échanger des points de
vue; et il n’attire pas beaucoup à lui.
Celui chez qui la
Parole est allée en profondeur devient plus silencieux; il est peu
missionnaire, ne discute pas, mais il se met à rayonner, à attirer par ce
rayonnement, non pas son rayonnement propre, mais le rayonnement de la Parole
en lui. Alors la Parole grandit à travers lui et se répand; alors l’Eglise
grandit aussi, car elle grandit avec la Parole.
Je voudrais donner
deux exemples de ce rayonnement et ce sera ma conclusion. Je prends ces deux
exemples dans nos Eglises de la Réforme, en sachant qu’il y en a d’autres dans
les autres Eglises. J’en reste cependant à nos Eglises, car je crois que cela
nous parle mieux.
Dietrich Bonhoeffer
est un de ces hommes chez qui la Parole s’est profondément enfouie jusqu’au
plus profond de son être. Avant la guerre, il avait un certain rayonnement dans
son entourage, mais son rayonnement s’est très nettement intensifié dès lors
qu’il a été en prison. C’est là que la Parole est allée au plus profond de son
être; elle a travaillé cet homme, l’a transformé, purifié, sanctifié.. Alors la
Parole a grandi en lui, à travers lui, à partir de lui.
Par le rayonnement
de la Parole à travers cet homme, l’Eglise a grandi, non seulement en
Allemagne, mais bien au-delà encore.
Mon autre exemple
est celui de Marie Durand et des autres prisonnières de la Tour de Constance.
Il ne s’agit là encore que de vies travaillées par la Parole jusqu’au plus
profond des cœurs. Ces femmes n’ont rien dit ou presque; elles n’ont pas pu
être missionnaires; elles ont mis des années pour écrire un seul mot sur la
margelle d’un puits. Elles ont rayonné et rayonnent encore.
A travers elles,
Dieu a fait grandir l’Eglise, en faisant grandir dans ces femmes sa Parole, une
parole priée, méditée, assimilée jusqu’au plus profond de l’être, au point de
rayonner. Ces femmes ne se sont pas préoccupées de savoir si l’Eglise allait
grandir à travers elles; elles voulaient avant tout que la Parole grandisse en
elles et les habite en profondeur.
Et c’est Dieu qui a
fait le reste.
Chers frères et
sœurs, si nous voulons vraiment que l’Eglise grandisse, alors, commençons par
laisser grandir en nous la Parole jusqu’au plus profond de notre être… Et Dieu
fera le reste !
Texte de l’exposé fait lors du synode régional
Cévennes-Languedoc-Roussillon de l’Eglise réformée de France 2001. Bulletin de l’Association des compagnons pour l’Evangile (ACE),
n° 97/98 (printemps 2002).
Daniel Bourguet est ermite dans les Cévennes, pasteur et ancien Prieur de la Fraternité des Veilleurs.
Présentation de l'auteur en cliquant ici....