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"Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse, que son visage s'illumine pour nous ; et ton chemin sera connu sur la terre, ton salut, parmi toutes les nations. Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu'ils te rendent grâce tous ensemble !" (Psaume 67)

mercredi 1 janvier 2020

"On lui donna le nom de Jésus"

par Karl Barth



Théologiquement, aussi bien que pour le plus simple croyant, il faut affirmer que tout, réellement tout le contenu de la Bible, de A à Z, et tout ce qu'ensuite nous appelons l'Eglise chrétienne et la prédication chrétienne, dépend du nom de Jésus. Le nom, c'est le dernier mot qu'on puisse dire de quelqu'un. Après tout dépend de ce quelqu'un. C'est par ce "quelqu'un", par ce Jésus, que la Sainte Ecriture se distingue de tous les livres sérieux, pieux, les bons livres ! C'est par lui que, ce que l'Ecriture Sainte nomme "révélation", se distingue de tout ce qu'on peut dire des autres grandeurs, des dieux et des hommes. En prononçant le nom de Jésus et en nous rappelant ce que dit ce nom, nous en appelons à l'instance dernière, celle qui se suffit à elle-même, celle que nous ne pouvons dominer ni juger du dehors, celle qui intervient d'elle-même pour que son droit et sa majesté soient reconnus.

Le témoignage du Nouveau Testament est l'entreprise téméraire, absolument inouïe, de dire tout ce qui est dit de Dieu et des choses divines, non pas en général, sous forme d'instruction ou de mythe, mais de le dire dans la perspective de ce fait unique: Jésus Christ. On ne peut pas comprendre le Nouveau Testament si on ne comprend pas ce rapport continuel à ce seul nom, si on ne connaît pas la voix qui retentit en ce lieu unique.

 Si l'on rayait du Nouveau Testament le nom de Jésus-Christ, on aurait encore un très beau livre, mais qui serait complètement absurde, aussi absurde que des adjectifs sans substantifs, des prédicats sans sujet. On pourrait alors passer à côté de ce livre avec indifférence. Celui qui lui donne exclusivement son poids c'est son nom.

Ce nom n'est pas fortuit. Jésus signifie le Sauveur, le Libérateur, ce qui veut dire que l'homme est à ce point perdu qu'il ne peut se sauver lui-même, qu'il a besoin d'un Sauveur. Et l'homme a pour libérateur, pour sauveur, celui dont il a été dit: "Tu deviendras enceinte et tu enfanteras un fils à qui tu donnera le nom de Jésus" (Luc 1,31)

Comprendre la signification du nom de Jésus, c'est se demander, en face du Nouveau Testament: Est-ce que ceci est vrai, est-ce que tel est aujourd'hui le témoignage de Dieu, celui auquel je me fie, auquel je me borne, par lequel je vis dans l'Eglise, avec lequel je me risque à affronter l'humanité d'aujourd'hui ? La réponse à cette question dépend tout simplement de notre attitude en face de Jésus-Christ.


In "Avent", Editions Roulet, Genève, 1948, p. 44s.

jeudi 7 novembre 2019

Le baptême: être emporté avec Jésus dans les profondeurs de l'humanité

Par Rowan Williams, ancien archevêque de Cantorbéry


"Jésus a dû descendre complètement à notre niveau, là où les choses sont informes et insensées, dans un état de vulnérabilité et sans protection afin que l'humanité réelle puisse naître. Cela suggère que la nouvelle humanité qui est créée autour de Jésus n'est pas une humanité qui sera toujours couronnée de succès et au contrôle de toute chose, mais une humanité qui peut tendre sa main depuis les profondeurs du chaos pour être touchée par la main de Dieu. 

Cela signifie que si nous posons la question: "Où peux-tu t'attendre à trouver les baptisés ?" une réponse est "dans le voisinage du chaos". Cela signifie que vous pouvez vous attendre à trouver des chrétiens près des lieux où l'humanité est le plus en danger, où l'humanité est la plus désordonnées, défigurée, dans le besoin.

On trouvera les chrétiens près de Jésus - mais on trouvera Jésus près de la confusion et de la souffrance humaine, près des sans défenses, auprès de ceux qui sont dans le besoin. Si être baptisé c'est être conduit là où est Jésus, alors être baptisés c'est être vers le chaos et le manque d'une humanité qui a oublié sa propre destinée. [...]
Donc le baptême signifie être avec Jésus "dans les profondeurs": les profondeurs des besoins humains, y compris les profondeurs de nous-mêmes et de nos propres manques - mais aussi dans les profondeurs de l'amour de Dieu; dans les profondeurs où l'Esprit recrée et renouvelle la vie humaine telle que Dieu veut qu'elle soit." [...]

Le baptême est une cérémonie dans laquelle nous sommes lavés, purifiés recréés. C'est aussi une cérémonie dans laquelle nous sommes poussés au milieu d'une situation humaine qui peut nous blesser et qui ne nous laissera pas intactes et immaculés. [...] l'ouverture à l'Esprit vient lorsque nous allons avec Jésus pour prendre ce risque de l'amour et de la solidarité. 

La prière du peuple des baptisés grandit et se met en marche dans la prière de Jésus lui-même et par conséquent c'est une prière qui peut parfois être difficile et mystérieuse. Les chrétiens prient parce qu'ils "doivent" le faire à cause de l'Esprit qui déferle au-dedans d'eux. La prière, en d'autres termes, est comme un éternuement: arrive un point où tu ne peux pas ne pas le retenir. L'Esprit déborde et déferle en direction de Dieu le Père.

Etre baptisé n'est pas, comme le pense le monde, être en un lieu sécurisé. [...]
Le baptême t'amène à être en compagnie d'autres chrétiens ; et il n'y a pas de moyen d'être chrétien sans la compagnie d'autres chrétiens. Mauvaise nouvelle pour beaucoup ! Car cette compagnie d'autres chrétiens peut être tellement difficile !
C'est, selon le Nouveau Testament, un cadeau autant que parfois une épreuve et une gêne. C'est un cadeau car dans cette communauté du peuple des baptisés nous recevons de la vie grâce à la prière et à l'amour des autres et nous donnons notre prière et notre amour aux autres qui en ont besoin. Nous sommes absorbés dans une grande économie de don et d'échange. 

Donc le baptême restaure une identité humaine qui avait été oubliée ou recouverte. Le baptême nous transporte là où Jésus est. Il nous transporte par conséquent dans la proche compagnie d'un monde sombre, et déchu, et il nous transporte dans la compagnie des autres invités qui sont là. La vie baptismale est caractérisée par la solidarité avec ceux qui sont dans le besoin, et dans le partage avec tous ceux qui croient. Ceci est caractérisé par une vie de prière qui persévère courageusement, même quand cela est difficile et peu prometteur et ingrat, simplement parce que tu ne peux pas réprimer le désir de prier. Quelque chose garde cet avénement vivant en toi; peu importe les résultats.

(Rowan WILLIAMS, Being Christian, p. 4-12, extraits.)



jeudi 10 mai 2018

Fête de l'Ascension - "Il fut élevé au ciel" (Lc 24)

par Saint Augustin d'Hippone


Icône de l'Ascension - Taizé


Aujourd'hui notre Seigneur Jésus Christ est monté au ciel ; que notre coeur y monte avec lui. Ecoutons ce que nous dit l'Apôtre: "Puisque vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. Ayez le sens des choses d'en haut, non des choses de la terre." (Col 3,1-2)
De même que Jésus est monté sans pourtant s'éloigner nous, ainsi nous sommes déjà là-haut avec Lui, même si ce qui nous est promis ne se réalise pas encore en notre chair. Lui est déjà élevé au-dessus des cieux ; et cependant, Il souffre sur la terre toutes les peines que nous, ses membres, nous ressentons. De cela il a porté témoignage quand Il s'écria d'en haut: "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?" (Ac 9,4), et encore : "J'ai eu faim, et vous m'avez donné à mangé" (Mt 25, 35).
Pourquoi ne travaillons-nous pas sur cette terre de telle sorte que, par la foi, l'espérance et la charité qui nous unissent à Lui, nous reposions dès maintenant avec Lui dans le ciel ? Lui qui est là, est aussi avec nous ; et nous qui sommes ici, nous sommes aussi avec Lui. Il peut cela par sa divinité, sa puissance, son amour ; et nous, si nous ne le pouvons comme Lui par la divinité, nous le pouvons en Lui par l'amour. 
Il n'a pas quitté le ciel quand Il est descendu vers nous, et Il ne nous a pas quittés lorsqu'il est monté au ciel. Sa présence là-haut pendant qu'il était ici, Lui-même en témoigne: "Personne, dit-il, n'est monté au ciel si ce n'est Celui qui descendit du ciel, le Fils de l'homme qui est au ciel." (Jn 3,13) Il n'a pas dit: le Fils de l'homme qui sera dans le ciel, mais :" Le Fils de l'homme qui est au ciel." Qu'Il demeurerait avec nous, même quand il serait là-haut. Il l'a promis avant son Ascension en disant: "Et moi, je suis avec vous jusqu'à la fin du monde." (Mt 28,20).
"Personne n'est monté au ciel, si ce n'est Celui qui descendit du ciel, le Fils de l'homme qui est au ciel": ces paroles ne semblent viser que Lui seul sans qu'aucun de nous puisse être concerné. Et pourtant, cela fut dit en raison de l'unité, parce qu'Il est la tête et nous sommes le corps. Cela ne concerne personne d'autre que Lui, puisque nous aussi, nous sommes Lui, selon que Lui est fils de l'homme à cause de nous, et nous fils de Dieu à cause de Lui.
Lui seul descendit du ciel par miséricorde et Lui seul y est monté, et nous avec Lui par grâce.


SAINT AUGUSTIN, extrait cité dans: BOURGUET Daniel, L'Evangile médité par les Pères: Luc, Olivétan

jeudi 26 avril 2018

Pour une Eglise qui veut grandir


par Daniel Bourguet 



Une Eglise qui veut grandir et qui formule ainsi sa volonté serait-elle une Eglise qui veut prendre en main son avenir, comme si cet avenir lui appartenait? « Nous voulons grandir! » Ecoutons bien ce que nous sommes en train de dire!
Un jour, Jacques et Jean, fils de Zébédée, se sont permis d’exprimer leur volonté, leur désir, et d’en parler au Christ: « Seigneur, nous voudrions être parmi les grands, et siéger à ta droite et à ta gauche… » Vous ne savez pas ce que vous demandez! Si vous voulez être grands, soyez donc petits! Si tu veux grandir, agenouille-toi devant les autres pour leur laver les pieds. C’est à genoux que l’Eglise sera grande!
Un jour, les Madianites se mobilisèrent pour écraser Israël (Jg 6:33). Devant ce danger, Gédéon rassembla toutes les troupes d’Israël, toutes ses forces humaines. Il se trouva alors à la tête de 32 000 hommes, ce qui n’était pas énorme devant l’ennemi, qui en avait plus de 100 000! (Cf. Jg 8:10) Et nous, devant l’ampleur de nos combats à mener, il nous faut bien aussi être le plus nombreux possible et rassembler toutes nos forces!
Vous savez ce que Dieu a dit à propos de ces 32 000 Israélites: « Vous êtes trop nombreux! » (Jg 7:2) Et il a commenté son point de vue en disant: « Si vous êtes victorieux, vous allez en tirer orgueil à mes dépens. Et Dieu a donné l’ordre de renvoyer tous les peureux. Il ne resta que 10 000 hommes. « C’est encore trop », dit Dieu; et il fit un tri sévère pour ne garder que 300 hommes. Et avec ces 300 hommes, Dieu remporta la victoire. Ce texte est un excellent remède contre les complexes d’infériorité, ou même les bouffées d’orgueil, ou la peur de disparaître.

J’ai relu pour aujourd’hui tout le livre des Actes, afin de découvrir comment l’Eglise a grandi, ou encore comment elle a « voulu grandir »! Eh bien! Elle n’a jamais voulu grandir. Elle a toujours été dépassée par cette question, parce que cela ne lui appartient pas de vouloir grandir.
Pourtant, le livre des Actes décrit minutieusement la croissance étonnante du nombre des disciples, avec des chiffres à l’appui. Mais, cette croissance n’est jamais présentée comme le fait de l’Eglise, comme le résultat de ses décisions synodales, ses stratégies ou plans de croissance. Ce n’était pas à l’ordre du jour!
La croissance de l’Eglise n’est pas le fait de l’Eglise, mais le fait de Dieu. Ce n’est pas le projet de l’Eglise, mais celui de Dieu. Ce n’est pas une décision synodale, mais une décision de Dieu. C’est l’affaire de Dieu et de Dieu seul! Si l’Eglise grandit, c’est Dieu qui la fait grandir.
D’une certaine manière, une Eglise qui affiche trop sa volonté de grandir court le risque d’être une Eglise qui se prend pour Dieu.
Au début de l’Eglise, le jour de la Pentecôte, il ne nous est pas parlé de 3000 hommes qui s’ajoutèrent à l’Eglise (Ac 3:41), mais « 3000 hommes furent ajoutés ». Et ajoutés par qui? Non pas par le talent de Pierre, ou son charisme d’évangéliste, mais par Dieu. Ce discret verbe passif devient, en effet, plus précis quelques versets plus loin, dans les mots qui reflètent bien le message du livre des Actes: « Dieu ajoutait chaque jour les personnes sauvées à la communauté. » (Ac 2:47)
Je crois que le message du livre des Actes est très clair: si l’Eglise veut grandir, qu’elle se tourne vers Dieu pour le lui dire! Qu’elle ne se réunisse donc pas en synodes pour en débattre, élaborer des stratégies, mettre sur pied des programmes de croissance. Non! Qu’elle organise plutôt une réunion de prière, car un tel désir ne peut se dire qu’à Dieu: « Seigneur, nous voudrions grandir… si c’est bien ce que tu veux, toi aussi! »
C’est à genoux que l’Eglise sera la plus grande! Sa véritable grandeur est dans son humble amour. Si nous rêvons d’une autre grandeur, n’oublions pas l’histoire de Gédéon et la remarque de Dieu: « Si vous êtes aussi nombreux que vous le voulez, vous allez en tirer orgueil à mes dépens! »
Et de fait, l’histoire de l’Eglise a maintes fois montré que l’Eglise n’a jamais su bien grandir et qu’elle a bien souvent été tentée dans sa croissance par quelques démons: l’orgueil ou le goût du pouvoir. « Alors, Seigneur, fais-nous grandir… Mais, humblement, petitement! »
J’ai cherché, dans le livre de Actes, tous les emplois du verbe « grandir » (auxano). Je vous fais part de mes découvertes et de ma surprise. On trouve ce verbe quatre fois.
Une fois dans le discours d’Etienne (en 7:17), pour signaler que le peuple d’Israël a grandi en Egypte; ce qui est présenté alors comme l’accomplissement par Dieu de sa promesse. C’est donc bien Dieu qui a fait grandir son peuple: « Le temps approchait où devait s’accomplir la promesse que Dieu avait faite à Abraham, et le peuple grandit et se multiplia. » Gandir, c’est l’œuvre de Dieu et c’est aussi sa bénédiction.
Les trois autres emplois ne s’appliquent pas à l’Eglise, mais tous les trois à la Parole de Dieu. Et cela est dit comme un refrain qui vient scander le contenu des Actes: « La Parole de Dieu grandissait » (6:7); même chose en 12:24, et puis encore en 19:20, c’est-à-dire chaque fois à des moments clés de la vie de l’Eglise.
Ce qui intéresse Luc, c’est secondairement la croissance de l’Eglise, et prioritairement la croissance de la Parole, c’est-à-dire sa propagation. La croissance de l’Eglise est très étroitement liée à la propagation de la Parole; elle lui est organiquement liée, elle est la conséquence, le résultat de la croissance de la Parole ainsi que son support. Ce qui compte avant tout pour Luc, c’est la Parole et non l’Eglise. La mission des apôtres n’est pas de faire grandir l’Eglise, mais de propager la Parole.
Je crois que cela est essentiel pour notre réflexion: peu importe la taille de l’Eglise, elle grandira nécessairement si la Parole de Dieu s’étend, se répand, se propage! La croissance de l’Eglise va de soi si la Parole grandit et se propage. L’Eglise grandit avec la Parole qui grandit.
Si cela est bibliquement juste, je crois que notre véritable projet théologique ne devrait pas être « Pour une Eglise qui veut grandir », mais plutôt « Pour une Eglise qui veut que grandisse la Parole de Dieu ». Là est notre véritable préoccupation, notre mission, notre vocation, l’enjeu de nos synodes, de nos stratégies, plans et autres programmes ecclésiaux.
Que l’Eglise veuille grandir ou pas, cela m’est égal. Ce qui m’intéresse, en revanche, c’est une Eglise qui grandit parce que la Parole de Dieu grandit, une Eglise qui est à son service. C’est, je crois vraiment, ce qui intéresse le livre des Actes.
Cela dit, je me propose donc maintenant de vous parler de la Parole qui grandit et, croyez-moi, ce ne sera pas un hors sujet: en effet, en parlant de cette Parole qui grandit, de sa croissance, je ne ferai que parler de la croissance de l’Eglise. L’Eglise n’a pas à se préoccuper de sa propre croissance; elle ne devrait même pas mettre cela à l’ordre du jour d’un synode! Elle doit se soucier de la croissance de la Parole. Encore une fois, la croissance de l’Eglise, c’est l’affaire de Dieu, et je préfère de beaucoup que cela soit son affaire plutôt que celle d’un synode!
Donc, la Parole qui grandit! Les trois mentions de la Parole qui grandit balisent trois étapes dans la croissance de l’Eglise:
- D’abord en 6:7: « La Parole de Dieu grandissait et le nombre des disciples augmentait considérablement à Jérusalem. » On voit ici très clairement le lien indissoluble entre la croissance de la Parole et la croissance de l’Eglise, mais avec la primauté de la Parole. Ce verset concerne l’étape de Jérusalem, le point de départ de l’évangélisation et de l’Eglise.
- Ensuite en 12:24; ce verset concerne la propagation de la Parole en Judée, en Samarie et en Syrie, jusqu’à Damas et Antioche. Cette nouvelle étape de l’expansion de la Parole et de l’Eglise est ainsi formulée: « La Parole de Dieu grandissait et augmentait » et non pas « l’Eglise de Dieu grandissait et augmentait », même si les deux sont indissolublement liées.
- Enfin, après avoir décrit la propagation de la Parole et l’expansion de l’Eglise jusqu’en Grèce, avec Athènes et quelques autres villes, Luc nous dit, en 19:20: « Par la force du Seigneur (et non pas le savoir-faire et la réussite des apôtres), la Parole grandissait et se fortifiait » (et les verbes « grandir » et « se fortifier » conviendraient pourtant parfaitement pour l’Eglise!).

Bref, voilà une jeune Eglise qui fait tout, avec l’aide de Dieu, pour que grandisse la Parole, sans se préoccuper d’elle-même. La Parole et l’Eglise grandissent ensemble! Là, je voudrais faire une remarque sur notre époque.
Dans les Actes, ceux qui reçoivent la Parole et qui y adhèrent par leur foi forment l’Eglise. Il y a coïncidence, superposition entre les croyants de la Parole et l’Eglise. Aujourd’hui, il en va autrement: ceux qui croient en la Parole ne sont pas tous dans l’Eglise. La Parole continue de se propager, et parfois indépendamment de l’Eglise. Et les nouveaux croyants ne rejoignent pas tous l’Eglise. J’en suis témoin. Je rencontre des gens habités par la Parole, animés par elle et qui ne sont pas dans nos assemblées, dans les structures de l’Eglise. Certes, ils forment l’Eglise universelle, mais il y a une interpellation pour nous, un questionnement sur notre aptitude à grandir en accueillant ceux qui ont accueilli la Parole…
Mais je reviens au livre des Actes. Jérusalem, la Judée, la Samarie, la Syrie, la Grèce… cette expansion de la Parole correspond pleinement à l’attente, à la promesse que le Christ a faite au moment de quitter ses disciples, le jour de l’Ascension: « Vous serez mes témoins (les porteurs de ma Parole) à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre. » (1:8) Quelques jours auparavant, Jésus avait fait le lien entre l’expansion de la Parole et la fin des temps: « La Parole sera proclamée dans le monde entier; c’est alors que viendra la fin. » (Mt 24:14)
La Parole est donc allée jusqu’aux extrémités de la terre, y compris même jusque dans les extrémités inhabitées des déserts. Cette propagation de la Parole a été reconnue et couronnée par l’empereur Constantin lui-même, qui déclara que toute la terre était chrétienne. Et pourtant, la fin n’est pas arrivée. Surprise! Que se passe-t-il?
C’est alors que, dans les extrémités les plus reculées du désert, des hommes, quelques moines, ont découvert une autre extrémité encore non atteinte par la Parole, encore peu prise en compte par l’Eglise: non pas l’extrémité nord, sud, est ou ouest de la terre, mais l’extrême profondeur de la terre, ou plus exactement l’extrémité en profondeur, au plus profond du cœur de l’homme!

La Parole a atteint toutes les extrémités de la terre, après bien des résistances, mais il lui reste encore à atteindre l’extrême profondeur du cœur humain et là encore avec d’immenses résistances que nous connaissons bien, car elles sont en nous. Si la Parole aujourd’hui s’est répandue jusqu’aux extrémités de la terre, il lui reste aujourd’hui encore à atteindre l’extrême profondeur de nos cœurs, y compris dans l’Eglise. La propagation de la Parole réside là aussi: il faut qu’elle grandisse dans la profondeur de l’être humain.
La propagation de la Parole en profondeur, cela signifie que nous sommes apôtres, missionnaires, évangélistes de cette Parole jusqu’à l’extrême profondeur de l’homme, chez les autres, bien sûr, mais à quoi bon, si cette évangélisation jusqu’à l’extrême profondeur de l’être ne se fait pas en nous-mêmes, jusqu’au plus profond de nous-mêmes?
Si l’Eglise veut grandir, qu’elle grandisse en profondeur, c’est-à-dire que la Parole se propage en profondeur, en chacun de nous. C’est là-dessus que je voudrais m’arrêter, maintenant, par quelques remarques à ce sujet.
A plusieurs reprises dans les évangiles, Jésus parle de croissance, croissance de la Parole et du royaume; et la plupart du temps, presque toujours, il propose des images qui parlent de croissance végétale: le grain de blé, la graine de moutarde, les fleurs des champs qui croissent… Toutes ces images montrent que c’est Dieu qui s’occupe de la croissance, à ceci près que cela dépend aussi de nous, à savoir de la manière dont nous soignons la racine.
La semence qui n’a pas de racine pousse vite, mais au premier rayon de soleil, elle fane et ne porte aucun fruit. Pour qu’une plante grandisse, il faut que grandissent ses racines. Pour que l’Eglise grandisse, il faut que la Parole nous travaille en profondeur. C’est une nécessité de la croissance.
Si donc l’Eglise veut grandir, si elle veut accompagner la Parole dans son expansion, il est nécessaire que chacun de ses membres s’ouvre au travail en profondeur de la Parole, sinon c’est sans lendemain. C’est clair: la croissance de l’Eglise passe par l’approfondissement personnel de chacun de nous. Et cela, le livre des Actes le montre aussi.

La toute première description de la communauté chrétienne nous montre une grande attention à l’édification personnelle des croyants: ils étaient assidus, persévérants dans l’enseignement des apôtres, dans la prière, dans la fraction du pain, ils étaient au temple ou chez eux pour tout ce qui vient d’être rappelé et qui contribue magnifiquement à l’édification en profondeur de chacun. C’est avec cette profondeur-là que la Parole a pu s’enraciner pour que grandisse l’Eglise.
Le contre-exemple est donné par Ananias et Saphira: leur conversion a été en surface, sans les racines profondes du don total; ils se sont gardés une partie pour eux-mêmes, à l’écart de la Parole; et ils en sont morts.
Concrètement, la profondeur de la Parole en nous, cela veut dire méditer cette Parole – pourquoi pas tous les jours? -, la prier et la vivre jusqu’au fond, au quotidien. Les racines poussent dans la prière, dans la méditation, dans le vécu, sans relâche.
Sans cet approfondissement d’édification personnelle, tout projet d’Eglise est vain, creux, sans racine, superficiel et sans avenir. C’est par les racines qu’une plante grandit. C’est dans l’approfondissement de la Parole en nous que l’Eglise pourra grandir.
Peut-on décrire cet enfouissement de la Parole en nous? C’est très difficile, justement parce que c’est enfoui, invisible comme des racines. Toutefois, je vais essayer de me risquer un peu. Il me semble que l’enfouissement de la Parole jusqu’aux extrêmes profondeurs de notre être se fait en trois paliers inséparables: l’affectif, le cérébral et le plus profond que je ne sais pas nommer. C’est peut-être ce que la Bible appelle le cœur ou l’âme.
L’affectif. Souvent, le premier contact de la Parole dans une vie concerne l’affectif, l’émotionnel. L’adhésion première à la Parole est affective, avec beaucoup de chaleur ou de larmes parfois, mais sans une grande profondeur.
Le cérébral. Ensuite, il y a une mise en ordre de la foi par l’intelligence; la foi est raisonnée, éclairée, expliquée. L’adhésion à la Parole intègre la réflexion. L’évangélisation de l’être s’arrête à la tête, ce qui ne donne pas encore une grande profondeur.
Après la conversion émotive et la conversion cérébrale de l’être, il y a encore tout le reste à convertir: nos désirs, nos comportements, nos habitudes, notre manière de servir, d’espérer, d’aimer… Tout l’inconscient que la Parole atteint aussi au point de guérir des blessures profondes…
Nous prenons soin de nous former, humainement, théologiquement, et c’est bien, mais cela reste parfois cérébral. La Parole va plus loin; elle nous forme, mais surtout elle nous transforme, et cela de plus en plus en profondeur.
Notre manière de nous former est telle que nous finissons par scruter la Parole, par l’analyser, par la maîtriser et parfois même par la manipuler! Nous mettons la Parole à notre service, alors que c’est à elle de nous mettre à son service et de mettre la main sur nous. Et c’est cela la profondeur: laisser la Parole prendre possession de notre être, souverainement.
La Parole nous évangélise, nous fortifie, nous nourrit, nous guérit, nous pacifie, nous purifie, nous sanctifie, nous ouvre aux autres et à Dieu… La Parole qui grandit en nous en profondeur, c’est tout un travail. Mais attention! Il ne s’agit pas d’un travail sur nous-mêmes de type nombriliste, narcissique, égoïste…
Non! Ce n’est pas un travail de nous sur nous, mais un travail de la Parole sur nous, en nous. C’est Dieu lui-même qui poursuit son travail en nous, par sa Parole, vivifiée par l’Esprit Saint. C’est un travail d’illumination, de guérison, de transformation, de purification, de transfiguration, bref, de sanctification. La sanctification, ce n’est pas se sanctifier soi-même; ce n’est pas notre œuvre; c’est être sanctifié par Dieu, se laisser sanctifier par sa Parole. C’est l’œuvre de Dieu, avec notre accord, notre approbation, l’acquiescement de notre volonté.
La profondeur des racines est cachée. La Parole s’enfouit aussi en secret dans nos vies, pour grandir dans le secret de la prière, dans le secret de la méditation de la Parole, dans le secret d’une vie d’un humble amour. Ce caractère secret de l’approfondissement est un bon antidote contre toutes les bouffées d’orgueil dans la volonté de grandir.

Paul a commencé par passer trois ans au désert avant de se mettre à prêcher. Non pas trois années de formation, mais trois années de transformation intérieure, en profondeur. On tombe de cheval en quelques secondes, mais cela ne suffit pas pour transformer le cœur en profondeur.
Encore quelques remarques pour situer les étapes de notre intériorisation de la Parole par rapport à notre manière d’évangéliser les autres. Celui qui en reste au stade affectif de son adhésion à la Parole est généralement très missionnaire, très enthousiaste pour transmettre, très soucieux et désireux d’évangéliser. Celui qui se cantonne dans le stade cérébral perd souvent cet élan missionnaire; il ne va auprès des autres que pour discuter des idées, échanger des points de vue; et il n’attire pas beaucoup à lui.
Celui chez qui la Parole est allée en profondeur devient plus silencieux; il est peu missionnaire, ne discute pas, mais il se met à rayonner, à attirer par ce rayonnement, non pas son rayonnement propre, mais le rayonnement de la Parole en lui. Alors la Parole grandit à travers lui et se répand; alors l’Eglise grandit aussi, car elle grandit avec la Parole.
Je voudrais donner deux exemples de ce rayonnement et ce sera ma conclusion. Je prends ces deux exemples dans nos Eglises de la Réforme, en sachant qu’il y en a d’autres dans les autres Eglises. J’en reste cependant à nos Eglises, car je crois que cela nous parle mieux.
Dietrich Bonhoeffer est un de ces hommes chez qui la Parole s’est profondément enfouie jusqu’au plus profond de son être. Avant la guerre, il avait un certain rayonnement dans son entourage, mais son rayonnement s’est très nettement intensifié dès lors qu’il a été en prison. C’est là que la Parole est allée au plus profond de son être; elle a travaillé cet homme, l’a transformé, purifié, sanctifié.. Alors la Parole a grandi en lui, à travers lui, à partir de lui.
Par le rayonnement de la Parole à travers cet homme, l’Eglise a grandi, non seulement en Allemagne, mais bien au-delà encore.
Mon autre exemple est celui de Marie Durand et des autres prisonnières de la Tour de Constance. Il ne s’agit là encore que de vies travaillées par la Parole jusqu’au plus profond des cœurs. Ces femmes n’ont rien dit ou presque; elles n’ont pas pu être missionnaires; elles ont mis des années pour écrire un seul mot sur la margelle d’un puits. Elles ont rayonné et rayonnent encore.
A travers elles, Dieu a fait grandir l’Eglise, en faisant grandir dans ces femmes sa Parole, une parole priée, méditée, assimilée jusqu’au plus profond de l’être, au point de rayonner. Ces femmes ne se sont pas préoccupées de savoir si l’Eglise allait grandir à travers elles; elles voulaient avant tout que la Parole grandisse en elles et les habite en profondeur.
Et c’est Dieu qui a fait le reste.
Chers frères et sœurs, si nous voulons vraiment que l’Eglise grandisse, alors, commençons par laisser grandir en nous la Parole jusqu’au plus profond de notre être… Et Dieu fera le reste !

Texte de l’exposé fait lors du synode régional Cévennes-Languedoc-Roussillon de l’Eglise réformée de France 2001. Bulletin de l’Association des compagnons pour l’Evangile (ACE), n° 97/98 (printemps 2002).


Daniel Bourguet est ermite dans les Cévennes, pasteur et ancien Prieur de la Fraternité des Veilleurs.
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