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"Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse, que son visage s'illumine pour nous ; et ton chemin sera connu sur la terre, ton salut, parmi toutes les nations. Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu'ils te rendent grâce tous ensemble !" (Psaume 67)

lundi 8 juin 2015

La prière de Jésus: comment et pourquoi ? (3) La lutte contre la distraction et les pensées.

par Mgr Kallistos Ware


La lutte contre la distraction

Aussitôt que nous essayons sérieusement de prier en esprit et en vérité, tout d'un coup nous devenons conscients d'une manière aiguë de notre désagrégation intérieure, de notre manque d'unité et d’intégrité. En dépit de tous nos efforts pour nous tenir devant Dieu, des pensées continuent à remuer sans arrêt et sans but dans notre tête, comme le bourdonnement des mouches. Contempler signifie tout d'abord être présent où on est - être ici et maintenant. Mais habituellement nous nous trouvons nous-mêmes incapables d'empêcher notre esprit de vagabonder sans but dans le temps et dans l'espace. Nous rappelons le passé, nous anticipons l'avenir, nous tirons des plans pour ce qui est à faire après ; les gens et les lieux se présentent à nous dans une succession sans fin. Nous manquons de la puissance de nous recueillir en nous-mêmes dans le seul endroit où nous devrions être - ici, en présence de Dieu ; nous sommes incapables de vivre pleinement dans le seul moment du temps qui existe vraiment - maintenant, le présent immédiat. Cette désagrégation intérieure est l'une des plus tragiques conséquences de la Chute.

Que devons-nous faire ? Comment devons-nous apprendre a vivre dans le présent ? Comment pouvons-nous saisir le kairos, le moment décisif, le moment opportun ? C'est précisément sur ce point que la Prière de Jésus peut aider. L’invocation répétée du Nom peut nous amener, avec la grâce de Dieu, de la division à l'unité, de la dispersion et de la multiplicité à l'un.

La confrontation directe, la tentative d'extirper et d'expulser par un effort de volonté des pensées, ne sert souvent qu'à donner plus de force à notre imagination. Violemment réprimées, nos divagations ont tendance à revenir avec une force accrue. Au lieu de lutter contre nos pensées directement et d'essayer de les éliminer par un effort de volonté, il est plus avisé de nous en détourner et de fixer notre attention sur autre chose. Plutôt que de fixer à l’intérieur notre regard sur une imagination turbulente et de nous concentrer pour nous opposer à nos pensées, nous devrions regarder en haut vers le Seigneur Jésus et nous remettre entre ses mains en invoquant son Nom ; et la grâce qui agit par son Nom triomphera de ces pensées que nous ne pouvons pas supprimer par nos propres forces. Notre stratégie spirituelle devrait être positive et non négative : au lieu d'essayer de nous vider l'esprit de ce qui est mauvais, nous devrions le remplir de la pensée de ce qui est bon.

Pensées et images se présentent inévitablement à nous durant la Prière. Nous ne pouvons en arrêter le courant par une simple injonction de la volonté. Il est peu ou pas du tout valable de nous dire à nous-mêmes : " arrête de penser " ; nous pourrions aussi bien dire : " arrête de respirer ". " L'intellect rationnel ne peut rester inactif ", dit saint Marc le Moine29 ; des pensées ne cessent de le remplir de leur incessant bavardage, comme le chant des oiseaux à l'aube. Mais tandis que nous ne pouvons faire disparaître brusquement ce bavardage, nous pouvons au contraire nous en détacher, en " attachant " notre esprit toujours actif " à une seule pensée, ou la pensée de l'Un uniquement ", - le Nom de Jésus.

Par la répétition du Nom, nous sommes aidés à mettre à l'écart, à laisser passer nos imaginations sans consistance ou pernicieuses et à les remplacer par la pensée de Jésus. Mais bien que l'imagination et la raison discursive ne doivent pas être violemment réprimées en disant la Prière de Jésus, il ne faut certainement pas les encourager activement. La Prière de Jésus n'est pas une méditation d'événements spécifiques de la vie du Christ, ou de quelque parole ou parabole évangéliques ; encore moins est-ce une manière de raisonner et de discuter intérieurement de quelque vérité théologique telle que la signification du homoousios ou le dogme de Calcédoine. À ce point de vue, la Prière de Jésus doit être distinguée rigoureusement des méthodes de méditation discursive, populaires en Occident depuis la Contre-réforme (Ignace de Loyola, François de Sales, Alphonse de Ligori, etc.).
En invoquant le Nom, nous ne devrions former délibérément dans notre esprit aucune image visuelle du Sauveur. C'est une des raisons pour lesquelles nous disons la Prière dans l'obscurité, plutôt qu'avec les yeux ouverts devant une icône. " Garde ton esprit libre de toutes couleurs, images et formes, nous presse saint Grégoire le Sinaïte, garde-toi de l'imagination (phantasia) dans la prière - autrement tu pourrais trouver que tu es devenu un phantaste au lieu d'un hesychaste. " " Pour ne pas tomber dans l'illusion en pratiquant la prière intérieure, déclare saint Nil Sorski, ne te permets aucun concept, aucune image, aucune vision. " Ne place aucune image intermédiaire entre l'esprit et le Seigneur quand tu pratiques la Prière de Jésus, écrit l'évêque Théophane, le point essentiel est de demeurer en Dieu, et cette manière de cheminer devant Dieu signifie que tu vis avec la conviction toujours présente à la conscience que Dieu est en toi, comme il est en toute chose : tu vis dans la ferme assurance qu'il voit tout ce qui est en toi, te connaissant mieux que tu ne te connais toi-même.


C’est seulement en invoquant le Nom de cette manière - non en formant des images du Sauveur, mais simplement en " sentant " sa présence - que nous ferons l'expérience de la pleine puissance de la Prière de Jésus pour nous constituer comme un tout et nous unifier.

Pour la présentation biographique de Mgr Kallistos Ware, cliquez ici

Extraits tirés de : WARE Kallistos, in Elisabeth Behr-SigelLe lieu du coeur : 
Initiation à la spiritualité de l‘Église orthodoxe, Paris, Cerf, 1989. 

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