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"Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse, que son visage s'illumine pour nous ; et ton chemin sera connu sur la terre, ton salut, parmi toutes les nations. Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu'ils te rendent grâce tous ensemble !" (Psaume 67)

mardi 6 décembre 2016

"Mon esprit se réjouit en Dieu, mon Sauveur. Car il s'est penché sur son humble servante".

par Karl Barth

Vitrail du Magnificat (Taizé)


Deux femmes, une jeune et une vieille, deux créatures insignifiantes, inconnues, qui ignorent tout des problèmes de l'humanité, de l'existence et de l'essence du monde, de sa puissance et de ses démons ! Que vient faire ici la petite Marie, et que vient faire ici la vieille Elisabeth ? Qu'est-ce donc que le monde a de plus ? Rien, absolument rien, sinon qu'elles sont là, et que lorsque nous disons: rien n'a changé, cependant déjà, en secret, une création nouvelle est apparue.

Marie et Elisabeth sont inséparablement liées, non pas seulement parce qu'elles sont parentes, mais en vertu de l'unité de la promesse reçue, en vertu de la grâce qu'elles ont trouvée en Dieu. Elle se saluent l'une l'autre. Quelle incomparable salutation ! Celle de personnes humaines qui se reconnaissent parce qu'elles ont reçu la promesse de Dieu ! L'Eglise est là, là où deux personnes insignifiantes, deux simples femmes, sont liées étroitement, unies dans l'espérance qui, par la parole de Dieu, est entrée dans leur coeur. Car dans cette espérance, celui qu'elles espèrent est déjà présent.

Là où sont Marie et Elisabeth, là est le Sauveur, là est Dieu. Là aussi est Jean-Baptiste. Tout ceci est présent ; c'est déjà un événement, secret, il est vrai, mais réel dans la rencontre de ces deux femmes, de ces deux futures mères. Le Sauveur est là, et Jean le salut dès le sein de sa mère. Chaque mot d'Elisabeth est une parole qu'elle dit au Christ, au nom déjà de son fils Jean. Si Marie est bénie entre toutes les femmes, c'est qu'est béni le fruit de son corps. 

"Et Marie répondit: Mon âme magnifie le Seigneur et mon esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur." Comme l'écrit Luther, c'est l'oeuvre de Dieu qu'une âme magnifie le Seigneur. C'est toujours un miracle, selon la Sainte Ecriture, que Dieu agrée un être humain et que celui-ci puisse dire: Mon âme magnifie le Seigneur ! Car, qu'est-ce que signifie magnifier le Seigneur ? 
Avons-nous besoin de le magnifier ? Lui, le Très-Haut, n'a pas besoin que nous l'exaltions. Cependant, la Sainte Ecriture nous dit qu'il en est bien ainsi, que ceci fait partie de l'abaissement de Dieu vers nous dans son amour, qu'il veut être rendu grand par nous, et que cette grâce nous est faite: il m'est donné de magnifier Dieu !

Davantage: c'est dans notre misérable vie humaine que Dieu veut être rendu grand; cela aussi est vrai, infiniment vrai, dans l'amour infini et l'abaissement infini de Dieu. Et si nous demandons ce que cela peut vouloir dire rendre Dieu grand dans notre vie, voici ce que nous répondra la Sainte Ecriture. Il s'agit de quelque chose d'absolument simple, sans éclat ; il s'agit de notre petite existence, de laisser simplement Dieu être le Seigneur. 
Et pourquoi donc ? Parce qu'il est Dieu ! Pour aucune autre raison.
Non pas parce que nous pourrions nous engager avec lui dans quelque entreprise intéressante, utile et grande ; non, simplement parce qu'il est Dieu, le Seigneur. Lui, Dieu lui-même, le laisser être le Seigneur, le laisser régner sur nos pensées, nos sentiments, notre conscience, savoir qu'il veut régner et le vouloir à notre tour, c'est magnifier Dieu. C'est ce consentement au règne de Dieu qui fait que le Seigneur est alors rendu grand.

"Mon esprit se réjouit". La joie est la chose la plus rare dans le monde, la plus extraordinaire. Nous trouvons dans le monde assez d'austérité, d'enthousiasme fanatique et de zèle sans humour. Mais de la joie ? C'est que la connaissance du Dieu vivant est rare. En Dieu, notre Sauveur, si nous l'avons trouvé ou s'il nous a trouvés, en lui est la joie, comme dit Marie.

"Il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante". C'est très clair: Dieu est le Dieu des pauvres, le Dieu de ceux qui sont dans la détresse, de ceux qui y sont profondément, qui sont tout au fond de la détresse. Comment en serait-il autrement, puisqu'il est le Sauveur ? Mais précisément parce qu'il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante, il se révèle comme le Dieu de grâce, comme celui qui est bon pour nous d'une bonté qui sait exactement ce que nous sommes et où nous en sommes, et qui cependant nous vient en aide. Ce Dieu nous est nécessaire ; il est vraiment Dieu ; il est celui qui jette le regarde sur la bassesse de sa servante, qui ne fait que jeter ce regard. 
Comme c'est beau ! Il suffit que Dieu jette sur nous son regarde, qu'il tourne les yeux vers nous !

Notre vocation, c'est d'être aux côtés de Marie. Car cette joie, cette élévation de l'âme peuvent être aussi, à chaque instant, notre joie. Nous n'avons qu'une chose à faire, comme Marie: laisser faire Dieu. "Qu'il me soit fait comme tu as dit."


BARTH Karl, Avent, Editions Roulet, Genève, 1948, p. 58s.
Extrait cité dans BOURGUET D., Evangile médité par les Pères: Matthieu, Olivétan, 2008, p. 17-19.

lundi 12 septembre 2016

Crépuscule et aurore de l'Eglise

par Joseph Ratzinger (Pape Benoît XVI)



« Soyons prudents dans ce que nous annonçons. Ce qu’a dit Saint Augustin est toujours vrai : l’Homme est un abysse. Personne ne peut savoir à l’avance ce qui va ressortir de ces profondeurs. Et quiconque considère que l’Église n’est pas déterminée uniquement par cet abysse qu’est l’Homme, mais qu’elle s’efforce d’atteindre le grand, l’infini abysse divin, sera le premier à douter de ses propres prédictions, car cette volonté naïve de vouloir avoir raison à coup sûr ne pourrait qu’être la preuve d’une incompétence sur le plan historique. 
Je pense, non, je suis sûr, que le futur de l’Église viendra de personnes profondément ancrées dans la foi, qui en vivent pleinement et purement. Il ne viendra pas de ceux qui s’accommodent sans réfléchir du temps qui passe, ou de ceux qui ne font que critiquer en partant du principe qu’eux-mêmes sont des jalons infaillibles. Il ne viendra pas non plus de ceux qui empruntent la voie de la facilité, qui cherchent à échapper à la passion de la foi, considérant comme faux ou obsolète, tyrannique ou légaliste, tout ce qui est un peu exigeant, qui blesse, ou qui demande des sacrifices. 

Formulons cela de manière plus positive : le futur de l’Église, encore une fois, sera comme toujours remodelé par des saints, c’est-à-dire par des hommes dont les esprits cherchent à aller au-delà des simples slogans à la mode, qui ont une vision plus large que les autres, du fait de leur vie qui englobe une réalité plus large. Il n’y a qu’une seule manière d’atteindre le véritable altruisme, celui qui rend l’homme libre : par la patience acquise en faisant tous les jours des petits gestes désintéressés. Par cette attitude quotidienne d’abnégation, qui suffit à révéler à un homme à quel point il est esclave de son égo, par cette attitude uniquement, les yeux de l’homme peuvent s’ouvrir lentement. L’homme voit uniquement dans la mesure où il a vécu et souffert. Si de nos jours nous sommes à peine encore capables de prendre conscience de la présence de Dieu, c’est parce qu’il nous est tellement plus facile de nous évader de nous-mêmes, d’échapper à la profondeur de notre être par le biais des narcotiques, du plaisir etc. Ainsi, nos propres profondeurs intérieures nous restent fermées. S’il est vrai qu’un homme ne voit bien qu’avec le cœur, alors à quel point sommes-nous aveugles ?

Quel rapport tout cela a-t-il avec notre problématique ? Eh bien, cela signifie que les grands discours de ceux qui prônent une Église sans Dieu et sans foi ne sont que des bavardages vides de sens. Nous n’avons que faire d’une Église qui célèbre le culte de l’action dans des prières politiques. Tout ceci est complètement superflu. Cette Église ne tiendra pas. Ce qui restera, c’est l’Église du Christ, l’Église qui croit en un Dieu devenu Homme et qui nous promet la vie éternelle. Un prêtre qui n’est rien de plus qu’un travailleur social peut être remplacé par un psychologue ou un autre spécialiste. Un prêtre qui n’est pas un spécialiste, qui ne reste pas sur la touche à regarder le jeu et à distribuer des conseils, mais qui, au nom de Dieu, se met à la disposition des Hommes, est à leurs côtés dans leurs peines, dans leurs joies, dans leurs espoirs et dans leurs peurs, oui, ce genre de prêtres, nous en aurons besoin à l’avenir.

Allons encore un peu plus loin. De la crise actuelle émergera l’Église de demain – une Église qui aura beaucoup perdu. Elle sera de taille réduite et devra quasiment repartir de zéro. Elle ne sera plus à même de remplir tous les édifices construits pendant sa période prospère. Le nombre de fidèles se réduisant, elle perdra nombre de ses privilèges. Contrairement à une période antérieure, l’Église sera véritablement perçue comme une société de personnes volontaires, que l’on intègre librement et par choix. En tant que petite société, elle sera amenée à faire beaucoup plus souvent appel à l’initiative de ses membres.
Elle va sans aucun doute découvrir des nouvelles formes de ministère, et ordonnera à la prêtrise des chrétiens aptes, et pouvant exercer une profession. Dans de nombreuses petites congrégations ou des groupes indépendants, la pastorale sera gérée de cette manière. Parallèlement, le ministère du prêtre à plein temps restera indispensable, comme avant. Mais dans tous ces changements que l’on devine, l’essence de l’Église sera à la fois renouvelée et confirmée dans ce qui a toujours été son point d’ancrage : la foi en un Dieu trinitaire, en Jésus Christ, le Fils de Dieu fait Homme, en l’Esprit-Saint présent jusqu’à la fin du monde. Dans la foi et la prière, elle considérera à nouveau les sacrements comme étant une louange à Dieu et non un thème d’ergotages liturgiques.

L’Église sera une Église plus spirituelle, ne gageant pas sur des mandats politiques, ne courtisant ni la droite ni la gauche. Cela sera difficile pour elle, car cette période d’ajustements et de clarification va lui coûter beaucoup d’énergie. Cela va la rendre pauvre et fera d’elle l’Église des doux. Le processus sera d’autant plus ardu qu’il faudra se débarrasser d’une étroitesse d’esprit sectaire et d’une affirmation de soi trop pompeuse. On peut raisonnablement penser que tout cela va prendre du temps. Le processus va être long et fastidieux, comme l’a été la voie menant du faux progressisme à l’aube de la Révolution française – quand un évêque pouvait être bien vu quand il se moquait des dogmes et même quand il insinuait que l’existence de Dieu n’était absolument pas certaine – au renouveau du XIXe siècle. Mais quand les épreuves de cette période d’assainissement auront été surmontées, cette Église simplifiée et plus riche spirituellement en ressortira grandie et affermie. Les hommes évoluant dans un monde complètement planifié vont se retrouver extrêmement seuls. S’ils perdent totalement de vue Dieu, ils vont réellement ressentir l’horreur de leur pauvreté. Alors, ils verront le petit troupeau des croyants avec un regard nouveau. Ils le verront comme un espoir de quelque chose qui leur est aussi destiné, une réponse qu’ils avaient toujours secrètement cherchée.


Pour moi, il est certain que l’Église va devoir affronter des périodes très difficiles. La véritable crise vient à peine de commencer. Il faudra s’attendre à de grands bouleversements. Mais je suis tout aussi certain de ce qu’il va rester à la fin : une Église, non du culte politique car celle-ci est déjà morte, mais une Église de la foi. Il est fort possible qu’elle n’ait plus le pouvoir dominant qu’elle avait jusqu’à maintenant, mais elle va vivre un renouveau et redevenir la maison des hommes, où ils trouveront la vie et l’espoir en la vie éternelle. »



Ces propos sont ceux de Benoît XVI (qui est alors encore le Card. Joseph Ratzinger) lors d'une interview en 1969. Ses paroles frappent par leur pertinence et leur clairvoyance. Il y développe une vision réaliste et juste de l'avenir de l'Eglise. 
A ceux qui s'arrêteraient à des préjugés infondés concernant l'auteur, on  ne saurait trop recommander la lecture des ouvrages de ce grand théologien qu'est Joseph Ratzinger.
En particulier je vous recommande la lecture de:
-  Jésus de Nazareth: l'enfance de Jésus.
- Jésus de Nazareth: du baptême dans le Jourdain à la Transfiguration.
- Jésus de Nazareth: de Nazareth à Jérusalem


jeudi 8 septembre 2016

Le gros mot: Filioque



Filio-quoi ? Filioque... c'est du latin et ça veut dire "...et du Fils".
En fait pour voir de quoi on parle il faut faire un peu d'histoire, mais je vous donne la version résumée.

Un peu d'histoire:
En 325 se tient le Concile oecuménique de Nicée pour préciser la foi de l'Eglise concernant Jésus-Christ. Est-il Dieu, n'est-il pas Dieu, n'est-il que Dieu ou alors aussi homme ? Le concile édite une confession de foi disant que Jésus est à la fois vrai homme et vrai Dieu.
En 381, nouveau Concile oecuménique à Constantinople. Ce Concile confirme la confession de foi de Nicée et présence la place de l'Esprit Saint: l'Esprit Saint est Dieu, il procède du Père, avec le Père et le Fils il reçoit même adoration et même gloire.
De ces deux Conciles nous vient une confession de foi fondamentale de l'Eglise, le Symbole de Nicée-Constantinople. Dont voici l'extrait qui concerne le Saint-Esprit (pour les plus motivés, le texte complet est aussi en grec au bas de la page du blog):

Je crois en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie;
il procède du Père.
Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire;
il a parlé par les prophètes.

Par la suite, le Concile de Chalcédoine va à son tour réaffirmer cette confession de foi. Jusque là pas de problème. 
Mais voilà... plusieurs théologiens (surtout au Moyen-Age à la suite d'Augustin) émettent l'idée que le Saint-Esprit procède du Père, mais aussi du Fils. Cette idée fait son chemin en Occident, si bien qu'au Concile de Tolède (qui n'est pas un Concile oeucuménique) on parle d'ajouter filioque (et du Fils) à la confession de foi, pour dire l'Esprit procède du Père et du Fils. Ce filioque ne sera en réalité ajouté vraiment qu'au Concile de Fréjus-Friuli en 796-797. En 809, Charlemagne organise un Concile pour affirmé, face à l'Eglise orientale, que l'Esprit procède du Père et du Fils. Le Pape (Léon III) n'est pas contre l'idée, mais il refuse de modifier le texte du Concile de Constantinople, ce n'est que deux siècles plus tard que le filioque entrera en vigueur à Rome et cela à cause de la pression exercée par les empereurs germaniques.
Du coup en Orient, on est pas tellement content que les occidentaux modifient la confession de foi, et en plus les orientaux sont accusés par les latins d'avoir enlevé ce filioque du texte originale. 
Mais même si les relations sont tendues elles ne sont pas rompues.  En 1054, alors que le Cardinal Humbert dépose une lettre sur l'autel de la basilique Saint-Sophie une lettre qui excommunie le Patriarche (qui répondra en excommuniant le Cardinal Humbert), même après ça les relations entre Rome et Constantinople demeurent, on se parle, on discute.
C'est en 1204 qu'on atteint le point de non retour. Les croisés, en marche pour la 4e croisade, font un petit détour par Constantinople (rivale commerciale de Venise), attaquent et pillent la ville. On appelle ça le sac de Constantinople. A partir de là, les relations seront durablement rompues. A Constantinople on trouve que les Sarrasins sont plus gentils que ces hommes qui ont la croix du Christ sur les épaules.
Récemment des rapprochements entre l'orient et l'occident chrétiens sont encourageants, et même la question de l'abandon du filioque semble envisageable du côté de Rome.


Concrètement ça change quoi ?

Si l'Esprit procède du Père seul, on affirme que le Père est le principe de toute chose, ce qu'affirme par ailleurs la Bible lors qu'elle dit: «Quand viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père  l’Esprit de vérité qui procède du Père. » (Jean 15,26)

Dire que l'Esprit procède du Père et du Fils, revient à dire que l'Esprit Saint tient son existence aussi du Fils. Or l'Esprit comme le Fils viennent tous deux du Père simultanément. Dire que l'Esprit procède du Fils c'est mettre une chronologie dans la Trinité, ce qui la déséquilibre.
On se retrouve avec d'un côté Père-Fils et de l'autre l'Esprit. Il n'y a plus vraiment de Trinité.
Cette idée aura son apogée chez Anselme de Cantorbéry puis chez Thomas d'Aquin: ils posent d'emblée le Père et le Fils, l'Esprit quant à lui est un lien d'amour entre le Père et le Fils. Ici il n'y a plus de Trinité du tout: car l'Esprit n'est plus une personne à part entière mais simplement une "fonction divine". Or la foi de l'Eglise a toujours confessé l'unité et l'égalité des trois Personnes de la Trinité.
L'idée de départ du filioque c'était de dire que Jésus envoie l'Esprit sur les disciples. Mais le problème c'est que la formulation est ambiguë et porteuse d'une erreur dogmatique. Au mieux on pourrait admettre que l'Esprit procède du Père par le Fils (en temps que c'est lui qui l'envoie sur les disciples) mais souvent le mieux et l'ennemi du bien. La version simple: l'Esprit procède du Père est pleinement suffisante.

Aujourd'hui plusieurs déclaration de Rome omettent le filioque. Du côté anglican la "Recommandation de Lambeth" retire le filioque. Du coté réformé, le nouveau recueil des Eglises protestantes francophones comporte le symbole de Nicée-Constantinople dans sa version de 381, sans l'ajout du filioque.


En très très grandes lignes, le filioque c'est petit mot qui fait couler beaucoup d'encre. Pour creuser vraiment la question, je vous renvoie à cet article en cliquant ici...







mercredi 7 septembre 2016

1054: l'année où il ne se passa pas grand chose

De la querelle du Filioque : pour un retour au texte original

 

Quelques repères historiques :

325 : le Concile de Nicée se réunit pour discuter et définir sa foi quant à la divinité ou non du Christ. Il s’agit d’un débat sur la nature du Christ. Est-il Dieu ? Est-il homme ? Est-il les deux tout à la fois ? Le Concile de Nicée établit une confession de foi qui proclame que Jésus est à la fois pleinement Dieu et pleinement homme. Dès lors l’hérésie arienne (du nom d’Arius), annonçant que Jésus n’a qu’une nature humaine et non divine, est condamnée.

381 : un nouveau Concile oecuménique (=reconnu valide par tous) se réunit à Constantinople. Ce concile va confirmer la confession de foi de Nicée, et préciser sa pensée au sujet du Saint Esprit. Sans écrire textuellement mot pour mot que le Saint Esprit est Dieu, elle affirme qu’il est divin et procède du Père (ce qui revient à dire qu’il est pleinement Dieu).  Au sujet du Saint-Esprit la confession de foi de Constantinople affirme :



Je crois… en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie;
il procède du Père.Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire; il a parlé par les prophètes.

Le texte affirme clairement que l’Esprit ne procède que du Père. L’idée que le Saint-Esprit ne procède pas uniquement du Père, mais aussi du Fils se trouve en gestation chez quelques Pères comme Ambroise de Milan, ou Tertullien (bien que ce dernier ce soit pas vraiment un Père de l’Eglise et qu’il fut officiellement condamné pour avoir rejoint l’hérésie montaniste à la fin de sa vie). Toutefois ces passages sont anecdotiques et ne font pas l’objet ni d’une formulation de foi, ni d’un développement sur la théologie trinitaire. Ces mentions que l’Esprit procède du Père et du Fils, sont chez les Pères grecs plus qu’anecdotiques et concernent toujours l’économie salvatrice et non pas l’essence éternelle de la Trinité. La procession du Père seule est quant à elle largement présente et développée. Citons quelques exemples :

  • Cyrille d’Alexandrie (à qui on attribue des écrits filioquistes) dit :

« L’Esprit découle, c’est-à-dire procède de Dieu le Père, comme d’une Source, mais Il est envoyé à la créature par le Fils. »

  • Théodoret de Cyr précise :

« Si Cyrille dit de l’Esprit qu’il est propre au Fils dans le sens qu’Il lui est consubstantiel et qu’Il procède du Père, alors nous sommes d’accord avec lui et considérons son expression comme conforme à la piété ; mais si, au contraire, c’est dans le sens que l’Esprit tire sa substance du Fils ou par le Fils, alors nous renions cette expression comme blasphématoire et impie. Car nous croyons le Seigneur qui a dit : l’Esprit de Vérité qui procède du Père. »
Cyrille confirmera la première hypothèse, affirmant que l’Esprit procède uniquement du Père.

  • Jean Damascène :

« L’Esprit est l’Esprit du Père […] mais il est aussi l’Esprit du Fils, non pas qu’Il procède du Fils, mais parce qu’il procède par Lui du Père. Il n’y a qu’une cause unique, le Père.Nous ne disons pas que le Fils est cause, ni que l’Esprit procède du Fils, mais nous disons qu’il est l’Esprit du Fils. »

  • Grégoire de Chypre :

« Il est reconnu que le Paraclet lui-même resplendit et se manifeste éternellement par l’intermédiaire du Fils […] mais cela ne signifie pas qu’Il possède son existence hypostatique par le Fils ou du Fils. »

Peu à peu en occident, poursuivant une intuition qu’on trouve parfois chez Augustin, l’idée que l’Esprit procède du Père et du Fils se répand en particulier chez les théologiens médiévaux.

En 589, le concile local de Tolède ajoute au texte de Nicée-Constantinople le mot latin filioque, affirmant ainsi que l’Esprit Saint procède du Père et du Fils. En occident, on commence de plus en plus à inclure « …et du Fils » (filioque) dans la récitation du Credo. Ce n’est toutefois pas de la mauvaise foi ni un acte délibéré… on croyait alors que le texte grec comportait aussi la mention « et du Fils ».

Au 8e siècle, Charlemagne apprend que dans la partie orientale de l’Eglise on ne dit pas « … et du Fils ». Il s’offusque croyant que les grecs ont modifié le texte de la confession de foi, d’autant (comme nous allons le montrer, qu’il ne porte pas les grecs dans son cœur). Il écrit au pape lui suggérant de condamner le patriarche de Constantinople. Le Pape Hadrien 1e refuse assurant de la foi légitime du patriarche.

En 796-797, un concile local se tient à Fréjus-Friuli et réaffirme que l’Esprit Saint procède du Père et du Fils (bien que Paulin d’Aquilée reconnut que le terme Filioque était absent du texte original).

Au 9e siècle, des moines occidentaux et orientaux se rencontrent à Jérusalem, les occidentaux découvrent alors que les orientaux ne disent pas « … et du Fils » et s’empressent d’avertir le pape que les orientaux ont changé le texte de la confession de foi. Ce qui motive Charlemagne dans sa lutte contre Constantinople est bien d’avantage politique que spirituel. En effet, en l’an 800 Charlemagne se fait couronner empereur romain germanique par le pape. Cette décision unilatérale offusque les orientaux qui voient l’empire divisé avec deux empereurs. Ils refusent donc de reconnaître à Charlemagne le titre d’empereur et critiquent le pape pour ce geste qui divise un peu plus l’empire. Les positions religieuses de Charlemagne ont un sérieux goût de vengeance politique.
Le Pape reconnaît que selon lui l’Esprit procède du Père et du Fils, mais il rejette l’ajout du filioque dans la confession de foi. A Rome on continue à dire le texte original sans l’ajout.

809-810 : Charlemagne convoque un nouveau Concile à Aix-la-Chapelle pour affirmer que l’Esprit procède bien du Père et du Fils. Mais le pape ne plie pas et refuse toujours d’inclure filioque  dans la liturgie et recommande à la cour de Charlemagne d’en faire autant. Le Pape fit d’ailleurs graver sur des plaques d’argent le Credo sans la mention du filioque. Le conflit en réalité ne se situe pas tant entre Rome et Constantinople, mais entre le royaume des Francs et les Byzantins.
En orient, on se suit pas vraiment l’évolution de la pensée trinitaire de l’occident jusqu’à ce que le patriarche Photius de Constantinople ne dénonce ouvertement se rajout du filioque au texte original de la confession de foi. Une crise éclata entre Rome et Constantinople. Après la tempête, l’Eglise retrouva son calme. Un concile se tint à Constantinople en présence des représentant de Rome, ce concile confirma la version originale de 381 sans le filioque  et condamna « quiconque composerait une autre confession de foi. » Toutefois la version avec le filioque resta en usage dans certaines parties de l’Europe contre la décision du pape Jean VIII.

1014 : un nouvel empereur est couronné, et durant la messe le Credo est chanté avec le filioque. Rome cède finalement à la pression des empereurs germaniques et accepte le credo avec l’ajout « … et du Fils » au sujet de la procession de l’Esprit Saint.

En 1054, le cardinal Humbert de Silva Candida, dans une lettre signée par le pape mais écrite de sa main, accusa le patriarche et les grecs d’avoir supprimé le filioque du texte original de 381. Entrant dans l’Eglise Sainte-Sophie il déposa sur l’autel une bulle (écrite de sa main) excommuniant le patriarche de Constantinople notamment pour le motif d’omettre le filioque dans le Credo. Le patriarche comprenant que l’anathème ne venait pas du pape, anathémisa la délégation du cardinal Humbert (mais non le pape). Si cet épisode aggrava encore la situation entre Rome et Constantinople, l’événement fut de courte durée et moins grave que ce que l’on imagine. En réalité, en 1054, il n’y a pas vraiment de schisme, pas plus qu’avant et pas plus qu’après. La séparation entre Rome et Constantinople est alors plus théorique que réelle, les relations amicales entre Rome et Constantinople persistèrent malgré la regrettable action du Cardinal Humbert.

C’est en 1204 que le point de non retour est atteint : les Croisés occidentaux en route pour la 4e croisade profitent du passage par Constantinople pour assiéger puis piller la ville. On appelle cet événement le sac de Constantinople. La raison n’est pas théologique, mais commerciale : Constantinople était la principale rivale commerciale de Venise. Les relations furent durablement endommagées mais non totalement détruites. Cela ouvrit une plaie durable. Nicétas Choniates écrivit à ce sujet  que même les Sarrasins sont bons et compatissants comparés à ces hommes qui portent la croix du Christ sur leurs épaules. C’est donc de 1204 qu’il faut véritable dater la division entre l’Eglise d’orient et l’Eglise d’occident, et non de 1054 qui n’est qu’un conflit de moindre ampleur.
Plusieurs événements du 20e siècle montrent une ouverture de Rome à revenir au texte premier de la confession de foi et à supprimer le filioque :

1987 : le patriarche Dimitrios 1e visite Rome, le pape et le patriarche disent le Credo sans le filioque.
1995 : le patriarche Bartholomée 1e visite Rome, le pape et le patriarche disent le Credo sans le filioque.
2002 : Jean-Paul II et le patriarche roumain ne disent pas non plus le filioque.
Nettement plus important que ces anecdotes, un fait marquant arrive en 2000 ou la Congrégation pour la doctrine de la foi ouvre son document Dominus Jesus avec le Credo dans la version de 381 sans l’ajout du filioque. La déclaration est signée par Joseph Ratzinger, futur pape Benoît XVI.
De même en 1995, le Vatican publia le texte suivant : 

  • «L'Église catholique reconnaît la valeur conciliaire œcuménique, normative et irrévocable, comme expression de l'unique foi commune de l'Église et de tous les chrétiens, du symbole professé en grec à Constantinople en 381 par le IIe concile œcuménique. Aucune profession de foi propre à une tradition liturgique particulière ne peut contredire cette expression de la foi enseignée et professée par l'Église indivise. Ce symbole confesse sur la base de Jn 15, 26 l'Esprit «το εκ του πατρός εκπoρευόμενον» («qui tire son origine du Père»). Le Père seul est le principe sans principe (αρχή άναρχος) des deux autres personnes trinitaires, l'unique source (πηγή) du Fils et du Saint-Esprit. Le Saint-Esprit tire donc son origine du Père seul (εκ μόνον του πατρός) de manière principielle propre et immédiate» (« Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit », in Irénikon, 3/1995.)

Quoique l’Eglise de Rome ne considère par le filioque en contradiction avec le Credo, elle reconnaît néanmoins que c’est la version grecque de 381 qui seule est normative en matière de foi.

Ce rapide parcours historique a permis de montrer que l’ajout du filioque est d’avantage dû à une méconnaissance occidentale du symbole grec puisque qu’on croyait alors que la mention « … et du Fils » en faisait partie, et à l’ingérence et pression exercées par les empereurs romains germaniques, à commencer par Charlemagne, sur l’Eglise, sur ses théologiens et même sur le pape.



Eléments théologiques

Du point de vue théologique, deux courants théologiques présentent deux approches de la querelle du filioque. La première tend à vouloir montrer que le conflit n’est pas d’abord théologique mais qu’il relève d’une mécompréhension, d’un usage différent du vocabulaire, et qu’au final les deux positions, occidentale et orientale, disent la même chose mais différemment. La seconde approche (qu’on trouve généralement plutôt chez les orientaux) prétend qu’il y a une incompatibilité totale et une différence théologique fondamentale entre l’orient et l’occident sur cette question du filioque.
Nous situerons l’analyse de cette question sur un chemin de crête entre ses deux écueils. En effet, le débat ne nous semble ni une simplement question de vocabulaire entre deux partis qui sont d’accord mais qui l’ignorent, ni une division insurmontable de l’ordre d’une véritable hérésie.

Le catholicisme romain, se basant sur des textes bibliques qui affirment que l’Esprit Saint est l’Esprit du Christ (Rom 8,9 ; Phi 1,19) et que c’est le Christ qui l’envoie ; ce que l’orthodoxie ne nie d’ailleurs à aucun moment en refusant le filioque. C’est surtout à la suite des successeurs médiévaux d’Augustin, que l’Eglise catholique a finalement, après beaucoup de résistance de la part des papes, ajouté la mention que l’Esprit procède non seulement du Père mais aussi du Fils. Ce faisant ils cherchaient à insister d'avantage sur la divinité du Christ. Cette mention apparaît semble-t-il pour la première fois en Espagne au VIe, dans le but de lutter contre l’arianisme (qui conteste la nature divine du Christ).
Toutefois il faut revenir sur les écrits d’Augustin, car s’il y a bien des passages qui mentionnent l’idée que l’Esprit procède du Père et du Fils, d’autres passages remettent clairement en question cette assertion :

  • « L’Esprit est l’Esprit du Père et du Fils […] mais le Christ n’a pas dit « l’Esprit que le Père enverra d’auprès de moi » mais « l’Esprit que je vous enverrai d’auprès du Père », voulant montrer ainsi que l’origine de toute réalité divine est le Père. » (Augustin, De Trinitate, IV, 29.) 
  • Ou encore contre les Ariens il écrit : « L’Esprit peut nous enseigner tout ce que le Fils a dit, parce qu’Il vient du même Père. »


On a trop souvent fait une lecture filioquiste d’Augustin alors que ce n’est pas si tranché que cela.
S’il existe des arguments théologiques en faveur du filioque, il faut constater que ce ne sont pas d’abord ceux-ci qui ont présidé à l’ajout dans le Credo, mais bien des événements historiques d’avantage provoqués par des considérations politiques que spirituelles, notamment par la pression des empereurs romains germaniques.

L’orthodoxie conteste l’ajout du Filioque pour deux raisons :
La première tient au fait que le Credo de 381 (dans son texte grec) est la confession de foi normative de l’Eglise, décidée lors d’un concile œcuménique. Elle est la base de la foi de l’Eglise et ne saurait être changée unilatéralement (d’autant que comme nous l’avons montré c’est d’avantage le fait des empereurs germaniques que le fait du Pape). Cette adjonction est un coup porté à l’unité spirituelle de l’Eglise (à défaut d’une unité réelle qui avait depuis longtemps disparu).

La deuxième raison est que le filioque est théologiquement inexact en tant que dogme (les plus conservateurs disent que le filioque est une hérésie, les plus modérés qu’il est admissible en tant qu’opinion théologique pourvu qu’il soit bien expliqué mais non pas en tant que dogme normativement confessé).

Du point de vue biblique, la foi orthodoxe se fonde sur le texte de Jean 15,26 : «Quand viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père (παρα του πατρός)  l’Esprit de vérité qui procède du Père. (παρα του πατρός ἐκπορεύεται) ». S’il est effectivement dit que le Christ envoie l’Esprit, ce n’est pas d’auprès de lui-même mais d’auprès du Père. L’Esprit vient du Père de manière différente que le Fils vient du Père. L’Esprit vient du Père par procession et le Fils par génération. S’il est important de distinguer ces modes c’est que l’orthodoxie cherche toujours à établir les Personnes de la Trinité distinction sans jamais les confondre. Ces deux relations au Père sont simultanées, l’une impliquant l’autre. L’Esprit vient envoyé par le Fils, mais le Fils vient par l’action de l’Esprit Saint. C’est pourquoi dire que l’Esprit procède du Fils établit une asymétrie au sein de la Trinité, venant arriver l’Esprit non plus simultanément mais secondairement.

Pour les pères de l’Eglise, Dieu le Père est principe (cause) de toute chose, donc origine (μόνη ἀρχή). C’est cette affirmation que Dieu est essentiellement UN, sans quoi on induit une dualité (deux principes).
Pour les pères, le Fils et l’Esprit sont les deux mains du Père. Mais toute image est limitée pour expliquer un mystère qui nous dépasse. Le Fils a été engendré par le Père, l’Esprit Saint procède du Père, tout cela dans l’éternité sans qu’il y ait une chronologie entre le Père, le Fils et l’Esprit. Comme le rappelle V. Lossky « La Trinité n’est pas le résultat d’un processus mais une donnée primordiale » (Lossky, p.52). En réalité, chaque relation entre deux personnes de la Trinité présuppose la troisième. Le Père engendre le Fils en même temps qu’il produit l’Esprit,  de même on doit envisager la procession de l’Esprit en même temps que le Père engendre le Fils. Dire que l’Esprit procède du Père et du Fils revient à déséquilibrer ces relations en enlevant la simultanéité du Fils et de l’Esprit. En disant que le Fils procède du Père, et que l’Esprit procède du Père et du Fils la Trinité est déséquilibrée puisque dans la relation Père-Fils l’Esprit n’apparaît pas, on se retrouve avec une dyade au lieu d’une triade. Ainsi pour la procession de l’Esprit, le Père et le Fils fusionnent ce qui est contraire au principe de distinction des Personnes de la Trinité.

C’est très tardivement que le filioque sera couvert d’une interprétation véritablement inacceptable, c’est Anselme de Cantorbéry qui définira l’Esprit en opposition aux deux autres personnes de la Trinité. Selon lui, puisqu’on dit que c’est l’Esprit du Père, et que c’est l’Esprit du Fils, mais qu’on ne dit pas « le Fils de l’Esprit », alors l’Esprit est à penser en opposition aux deux premiers, procédant du Père et du Fils. Cette idée ne sera pas reprise par Saint Bernard. Il faudra attendre Thomas d’Aquin pour reprendre les idées d’Anselme, c’est alors que le filioque s’introduit dans le dogme lui-même. L’Esprit semble alors réduit à un lien d’amour entre le Père et le Fils (nexus amoris ou vinculum caritatis). L’Esprit est alors confessé comme l’unité du Père et du Fils. La triade est perdue, on se retrouve avec une dyade. Peut-on encore parler de Trinité, alors qu’on se retrouve avec une Binité liée par l’Esprit non plus réellement Personne mais simple lien d’amour ? L’Esprit devient une fonction divine plus qu’une Personne.


Une certaine interprétation du filioque est-elle acceptable pour les orthodoxes ?
C’est ce qu’a admis Maxime le Confesseur lors d’un voyage à Rome. Il fait par de ces inquiétude au pape Martin concernant cet ajout du filioque. Les théologiens romains présentent alors des textes d’Augustin et de Cyrille d’Alexandrie pour montrer que l’Esprit Saint a pour seul principe le Père et que le Fils n’est pas la cause de l’Esprit. 
Maxime s'en revient rassuré:
« Les Occidentaux citaient les Pères romains, ainsi que Cyrille d'Alexandrie. Ils prouvent par là qu'ils ne se représentent pas le Fils comme cause de l'Esprit, car ils savent que le Père seul est cause du Fils et de l'Esprit Saint. »
Les latins expliquent vouloir souligner simplement que le Fils envoie l’Esprit. Il faudrait alors dire non pas que l’Esprit procède du Père et du Fils, mais qu’il procède du Père par le Fils pour montrer la médiation économique du Fils. L’intention est louable, mais cela entre dans l’idée d’une « économie du salut» (donc de la Trinité dans l’histoire) là où le Credo propose une définition essentielle ou éternelle. 
Le filioque bien compris (tel qu’on le trouve parfois mentionné chez les pères) cherche a dire que l’Esprit procède du Père et qu’il est envoyé par le Fils. Il s’agirait donc d’ajuster la formulation pour éviter toute ambiguïté. Si cela est vrai, et tout à fait admissible, il demeure que cette assertion qui concerne l’économie divine et non la procession éternelle, ne peut être telle qu’elle insérée dans le symbole de Nicée-Constantinople : pour des raisons historiques (seul un Concile œcuménique pourrait modifier le texte), et pour des raisons théologiques : dire que l’Esprit procède du Père et du Fils est faux, au mieux on pourrait dire que l’Esprit procède du Père par le Fils (en tant que ce dernier l’envoie sur les disciples et non que l'Esprit tient son existence du Fils).


Conclusion
Si le filioque a été le point de cristallisation des tensions entre l’occident et l’orient chrétiens, ce sont des questions d’avantages politiques que spirituelles qui, à l’origine, ont divisé la chrétienté. Il faut attendre le XIIIe siècle pour que la division soit réellement consommée, tant sur le plan pratique que spirituel à la suite du sac de Constantinople.
Les récents rapprochements sont encourageants, et la certaine ouverture du Vatican à revenir au Symbole premier de Nicée-Constantinople tend à montrer que le filioque est une adjonction explanatoire (elle ne cherche pas à changer le sens premier du texte) et qu’elle n’est donc pas normative, et du coup pas nécessaire. Puisque l’on peut s’en passer et qu’elle véhicule d’avantage de confusion théologique que de clarté.
Il semble évident de devoir prendre la version du Credo de 381. L’adjonction du filioque au final est plus superfétatoire (ajout inutile) qu’explanatoire (ajout qui complète sans changer le sens).
Notons pour terminer que nombre d’Eglises protestantes ont repris le texte premier. Dans la Communion anglicane, le filioque est discuté depuis le 17e siècle, cela aboutit en 1978 à la « Recommandation de la conférence de Lambeth » en faveur du retrait du filioque. Dans les Eglises réformées, la confession de foi de Nicée-Constantinople se trouve sans le filioque dans le nouveau recueil des Eglises protestantes francophones.



Bibliographie :

Sources 

SAINT AUGUSTIN, De Trinitate, Paris, Desclée de Brouwer, 1955.

SAINT BASILE DE CESAREE, Traité du Saint Esprit, Paris, Cerf, 1946.

« Le Filioque : une question qui divise l’Eglise ? », Déclaration commune de la Commission théologique orthodoxe-catholique d’Amérique du Nord, Washington DC, Saint Paul’s College, 25 octobre 2003.

« Declaratio DOMINUS IESUS. De Iesu Christi atque Ecclesiae unicitate et universalitate salvifica », Congréation pour la doctrine de la foi, Rome, 6 août 2000.

Littérature secondaire

« Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit » (texte publié dans L’Osservatore Romano, Rome, 13 septembre 1995), in Irénikon, 3/1995, Chevetogne, Tome 68, p. 356-368.

BOBRINSKOY (B.), Le Mystère de la Trinité, Paris, Cerf, 1986.

SIECIENSKI (E.), The Filioque, History of a Doctrinal Controversy, Oxford, University Press, 2010.

GARRIGUES (J.-M.), Le Saint-Esprit sceau de la Trinité. Le Filioque et l’originalité trinitaire de l’Esprit dans sa personne et dans sa mission.

GARRIGUES (J.-M.), Clarification sur la procession du Saint-Esprit et l’enseignement du concile de Florence.

LARCHET (J.C), « A propos de la récente “clarification“ du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens », in Theologia, 4/1999, Athènes.

LOSSKY (V.), Théologie dogmatique, Paris, Cerf, 2012, p. 39-74.




lundi 5 septembre 2016

Le gros mot: "Pénitence"


Ouh ça c'est un gros mot qui n'a vraiment pas la cote. Bien plus il est devenu tabou tant il est connoté négativement à grand renfort d'images d'auto-flagellation et de silices. 
Pourtant débarrassé des dérives des siècles passés, le repentir et la pénitence cachent une réalité belle est joyeuse que je vous propose de (re)découvrir.

Une définition pour commencer:
"La pénitence est une attitude intérieure par laquelle l'homme reconnait ses fautes, ou plus généralement son état de péché, s'en détache, en demande pardon à Dieu et, en invoquant son aide, manifeste sa volonté de ne plus pécher à l'avenir, de ne pas rester séparé de Dieu, mais de revenir à Lui en changeant d'attitude.
Les Pères voient dans la pénitence un processus de conversion qui a moins en vue le péché lui-même que le retour à Dieu. Ce qui compte ce n'est pas le passé, mais l'avenir, ce n'est pas la maladie, mais la santé, ce n'est pas la séparation d'avec Dieu mais la ré-union à Lui." 
(Larchet J-C., Thérapeutique des maladies spirituelles, Paris, Cerf, 2008, p. 357)

La première chose à mentionner c'est que pour les Pères, le péché ne s'exprime pas en termes juridiques, mais en termes médicaux. Le péché est une maladie dont souffre l'homme, la pénitence est le remède qui permet d'en être guéri. C'est plutôt positif !
On souffle déjà ! Pas de peine a expié, de Dieu courroucé à apaiser par des souffrances comptabilisées, mais un Dieu médecin qui donne un remède aux malades que nous sommes pour notre vie et notre santé.
Alors certes, la prise de conscience de notre état de pécheur n'est pas agréable, mais la douleur ressentie n'a rien à voir avec la souffrance du remord. Le remord et le repentir n'ont pas grand chose à voir l'un avec l'autre. Le remord nous fait tourner sur nous même et nous enferme dans le péché, le repentir quant à lui nous fait sortir de cet état et aller de l'avant laissant dans le passé ce qui est passé. "La pénitence exclut ainsi tout sentiment pathologique de culpabilité qui angoisserait et paralyserait celui qui en fait preuve." (Larchet, p. 359).

De même que lorsque l'on va chez le médecin il nous prescrit un médicament, un régime, de l'exercice, etc. De même la pénitence est une prescription du Christ médecin pour la santé de tout notre être, corps - âme - esprit. Le repentir est la reconnaissance de notre maladie, la pénitence est la prise du médicament prescrit par le médecin. 

Alors dehors les connotations moralisantes, juridiques, d'achat de la grâce par nos souffrances. Et bienvenue dans la vraie pénitence joyeuse d'enfant de Dieu qui avance vers la libération et la guérison de son être entier.