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"Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse, que son visage s'illumine pour nous ; et ton chemin sera connu sur la terre, ton salut, parmi toutes les nations. Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu'ils te rendent grâce tous ensemble !" (Psaume 67)

mardi 23 juin 2015

Prisonnier de moi-même.

par Pierre Damascène



Oh, que de larmes je voudrais verser quand je m’entrevois moi-même. Car si je ne pèche pas, je ne m’élève dans l’orgueil. Mais si je pèche et puis le voir, je perds courage dans mon indigence et je tombe dans le désespoir. Si je me réfugie dans l’espérance, de nouveau arrive l’orgueil. Si je pleure, je risque la présomption. Si je ne pleure pas, les passions reviennent. Ma vie est une mort. Et dans la crainte du châtiment, la mort est pire. Ma prière devient en moi une tentation et l’inattention me perd. Celui qui a pris sur lui la connaissance s’est couvert de douleur, dit Salomon.

Incertain, hors de moi, je ne sais que faire. Si je connais et ne fais pas, la connaissance me condamne. Hélas, que choisir ? Toutes choses dans mon ignorance me paraissent contraires et je ne puis les rendre semblables. Je ne trouve pas la vertu cachée et la sagesse dans les tentations, car je n’ai pas la patience. Mais à travers les pensées je quitte l’hèsychia (1). Et dans la tentation, à travers mes sens je découvre au-dehors les passions. Si je veux jeûner et veiller, la présomption et le relâchement m’en empêchent. Si je mange et dors sans compter, je tombe malgré moi dans le péché. 

Je suis serré de partout. 
Je fuis par crainte du péché, mais l’acédie (2) me renverse.

Je vois pourtant que dans ces combats et ces tentations beaucoup reçoivent les couronnes. Car leur foi est sûre. Elle leur a donné la crainte de Dieu, et par elle ils ont mené à bien l’œuvre des autres vertus. Si moi aussi j’avais la foi comme eux je trouverais la crainte. Le prophète l’a dit, c’est par la crainte qu’ils ont reçu la piété et la connaissance, d’où et le conseil, la compréhension et la sagesse de l’Esprit viennent à ceux qui demeurent en Dieu dans l’absence de soucis et la méditation patiente des divines Ecritures, laquelle rends semblables tout ce qui est en-haut et tout ce qui est en-bas. Si celle-ci ne naît pas de la foi dans l’âme, il est impossible de jamais avoir aucune vertu. « Dans votre patience vous sauverez vos âmes », dit le Seigneur qui forme le cœur de chacun des hommes, comme chante le Psalmiste. Il signifie par là que le cœur de chacun, c’est-à-dire l’intelligence (3), est formé à travers la patience dans les tribulations.

On ne doit donc jamais rejeter la crainte, tant qu’on na pas atteint le port de l’amour parfait, tant qu’on n’est pas hors du monde, hors du corps.  Mais la grande foi dégage l’intelligence du souci de la vie et de la mort du corps. Il parvient à la crainte pure, la crainte d’amour, dont parle le grand Athanase aux parfaits : 

« Ne crains pas Dieu comme un maître tout-puissant, mais crains-le en raison de son amour. »


Crains non seulement de pécher, mais d’être aimé et de ne pas aimer toi-même, et d’être indigne du bien que tu reçois. Dès lors c’est la crainte de ce bien qui porte l’âme à aimer, à devenir digne des bienfaits qu’on reçoit et qu’on recevra, dans sa reconnaissance envers le Bienfaiteur. Et de la crainte pure de l’amour, on parvient à l’humilité surnaturelle.

DAMASCENE Pierre, Deuxième Livre, Philocalie des Pères neptiques, Abbaye de Bellefontaine, T. B1, p. 155-157


(1) Hèsychia: tranquillité, repos, paix, impassibilité de l'âme .
(2) Acédie: état de paresse et de négligence intérieure, abandon de la prière, lassitude.
(3) Intelligence: non seulement l'intelligence cognitive mais aussi l'intelligence du coeur. L'intelligence est la double faculté de penser le monde et de contempler Dieu.


lundi 22 juin 2015

Prière au Saint-Esprit

par le père Serge Boulgakov


« Roi du ciel, Consolateur, Esprit de vérité, 
toi qui es partout présent et qui remplis tout,
 Trésor de biens et Donateur de vie,
 viens et demeure en nous,
 purifie-nous de toute souillure 
et sauve nos âmes, toi qui es bonté. »




Premièrement, quant à son omniprésence, disons que cette prière, à l’exception du « Notre Père », est la plus usitée et par conséquent la plus importante de toutes les prières orthodoxes. On pourrait aussi ajouter que l’absence d’autres prières au Saint Esprit la met dans un contexte tout particulier, ce qui encadre encore davantage sa portée.
D’ailleurs, l’importance particulière de cette prière est confirmée indirectement non seulement par son usage mais, dans le même esprit, par son exclusion du cycle usuel des prières de l’Église à des moments précis, notamment lors de la Semaine de Pâques et au cours des semaines qui mènent à la Pentecôte.
L’Église omet alors d’adresser cette prière au Saint Esprit en témoignage apparent du fait qu’au cours de la semaine de Pâques et des jours qui la suivent, c’est-à-dire après la Résurrection du Christ, nous sommes, de fait, passés du Royaume de Grâce au Royaume de Gloire, au sein duquel tout baigne intrinsèquement dans le Saint Esprit, ce qui fait qu’il n’est alors plus nécessaire de faire quelque invocation spéciale au Saint Esprit, parce que Dieu est tout, en tout.

Il est maintenant temps de regarder cette prière dans son ensemble : « Roi du ciel, Consolateur, Esprit de Vérité, toi qui es partout présent et qui remplis tout, Trésor des biens et Donateur de vie, viens et demeure en nous. Purifie-nous de toute souillure et sauve nos âmes, toi qui es bonté. »

La première partie de la prière, soit l’invocation « Roi du ciel, Consolateur, Esprit de vérité… « renferme un enseignement dogmatique sur la Troisième Hypostase comme étant Dieu véritable (« Roi du ciel »). Le Consolateur, dans la perspective de son amour hypostatique entre le Père et le Fils, le Saint Esprit grâce auquel s’atteint et se révèle la spiritualité de l’Esprit divin tri-hypostatique, est pour sa part l’Esprit de vérité dans sa relation avec la Deuxième Hypostase, qui est le Verbe et la Vérité.

La seconde partie de la prière, « …qui es partout présent et qui remplis tout, Trésor des biens et Donateur de vie «, témoigne plus particulièrement de l’activité du Saint Esprit dans le monde. Tout d’abord, quant à son omniprésence : Dieu est omniprésent mais chacune de ses divines hypostases possède une image spéciale de cette présence hyperspatiale. Le Père est le pouvoir fondamental de volonté dans la création du monde ; le Fils en est sa base ou son fondement idéal (« sans lui rien n’a été fait ») ; le Saint Esprit est la force active, qui pénètre tout et « qui accomplit tout ». Il est aussi Donateur de vie; et pourtant le Dieu trine est lui-même la Vie éternelle, le Créateur et le Donateur de vie. Alors que la Troisième Hypostase, celui qui accomplit tout, est la Vie de la Vie au sein de la Sainte Trinité, de même il est aussi la puissance spéciale de vie de chaque créature. Une hymne de l’Église rappelle que « C’est par le Saint Esprit que chaque âme vit » (Anavathmi du 4e ton).

Toute réalité accompagnant chacune de ces vies appartient au Saint Esprit, car il est la puissance réelle. Si la vie en tant que telle est la plus grande bénédiction, il est le « Trésor inépuisable de tous les biens », ce qui inclut non seulement le don naturel de la vie, mais aussi les dons de la grâce qui nous est donnée par le Saint Esprit et qui représente la puissance de la vie.

Cette partie de la prière décrit, pourrait-on dire, l’activité objective du Saint Esprit dans le monde et sa présence au sein du monde, alors que la dernière partie de la prière traite du domaine du subjectif, notamment de la réaction des hommes et leur acceptation du Saint Esprit, pour lui demander le salut personnel (« viens et demeure en nous, purifie-nous de toute souillure et sauve nos âmes… »).

Si la vie chrétienne consiste dans l’acquisition du Saint Esprit, selon les paroles de saint Séraphim de Sarov, et si en même temps la grâce ne force jamais personne, alors le désir et l’effort des hommes sont également nécessaires pour en venir à accepter cette grâce et cela doit se refléter en premier lieu dans la prière. De dire « Viens et demeure en nous » expose une prière en vue d’une réponse active du Saint Esprit et une invocation de l’Esprit Saint pour l’obtention de l’inspiration qui porte fruit dans la créativité humaine.

Le feu du Saint Esprit brûle notre nature pécheresse et nous purifie de tout péché. Par conséquent la demande de l’inhabitation du Saint Esprit en nous inclut aussi cette autre demande, « purifie-nous de toute souillure », afin que nous soyons purifiés de nos péchés. Ainsi, une telle habitation du Saint Esprit en nous est notre salut. Cette demande est la dernière de la prière. Elle est inclusive et, en fait, représente un condensé de toute la prière.

On place habituellement cette prière au début de toute chose bonne que nous entreprenons, particulièrement les études, les exposés, les réunions publiques etc.



Père Serge BOULGAKOV, Sobornost (Fellowship de Saint-Alban
et Saint-Serge), No 24, juin 1934. 
Traduction : frère Élie Marier. 
Première publication en français.
Source: http://www.pagesorthodoxes.net/priere/priere-boulgakov.htm


jeudi 18 juin 2015

Je n'ai pas le temps de prier !

par le Métropolite Antoine Bloom



Je n’ai pas l’intention d’essayer de vous convaincre que vous disposez de beaucoup de temps et que vous pouvez prier si seulement vous le vouliez ; je veux m’entretenir avec vous des moyens de se ménager du temps au sein des tensions et de l’accélération de la vie. Je vous épargnerai toute description de la manière dont on peut créer du temps : je me bornerai à souligner que si nous essayions de perdre un peu moins de temps nous en aurions davantage. Si nous utilisons les miettes de temps perdu pour tenter de construire de courts moments en vue de la prière et du recueillement, peut-être découvrirons-nous que le temps ainsi récupéré est considérable.
Si nous réfléchissons au nombre de minutes creuses dans une journée, pendant lesquelles nous faisons quelque chose parce que nous avons peur du vide, peur de nous retrouver seuls avec nous-mêmes, nous verrons qu’il y a bien des courts moments qui pourraient appartenir à la fois à Dieu et à nous.
Mais je veux surtout parler ici d’une question qui me paraît encore plus importante : la manière dont nous pouvons contrôler et arrêter le temps. On ne peut prier que si l’on se trouve en présence de Dieu dans un état de quiétude et de paix intérieure qui affranchit de la notion du temps – je n’entends pas ici le temps objectif mesurable mais l’impression subjective que le temps file et qu’ « on n’a pas le temps ».

Il est absolument inutile de courir après le temps pour le rattraper. Loin de fuir, il se précipite à notre rencontre. Que vous désiriez ardemment que la minute qui vient soit là ou que vous n’y attachiez aucune importance, vous pouvez être sûr qu’elle arrivera. Quoi que vous puissiez faire, l’avenir deviendra le présent ; aussi n’est-il pas nécessaire de bondir du présent dans l’avenir. Il suffit tout simplement d’attendre que l’avenir devienne présent et, à cet égard, il est possible d’être totalement immobile tout en se mouvant dans le temps parce que c’est le temps qui est mouvement.
Si nous imaginons être en avance sur le temps ou sur nous-mêmes, de fait, nous ne le sommes pas. En réalité, nous sommes tout simplement pressés mais nous n’avançons pas plus vite pour autant. Voilà ce qu’il nous faut apprendre au sujet de la prière : apprendre à nous fixer dans le présent. Nous agissons souvent comme si le présent était une ligne imaginaire très ténue entre le passé et l’avenir et nous virevoltons sans cesse entre le passé et l’avenir, en franchissant continuellement cette ligne.

Il y a donc, en ce qui concerne le temps, des moments où, sans entrer autant dans le détail, il est possible de percevoir que l’instant présent est là : le passé a irrémédiablement disparu, il n’a plus d’importance sauf dans la mesure où il fait encore partie du présent, et on peut dire la même chose de l’avenir parce qu’il peut être ou ne pas être.

Voici un premier exercice :
Assez-vous et dites : « Je suis assis ; je ne fais rien ; je suis résolu à ne rien faire pendant cinq minutes. » Détendez-vous alors et pendant tout ce temps (au début vous ne pourrez pas tenir plus de deux ou trois minutes) répétez-vous : « Je suis en présence de Dieu, je suis tranquille sans bouger. » Une précaution s’impose évidemment : il vous faut décréter que, durant les deux ou cinq minutes que vous vous êtes assigné pour apprendre que le présent existe, vous ne vous laisserez pas arracher à celui-ci par la sonnerie du téléphone ou le timbre de la porte d’entrée ou encore par une impulsion énergique et soudaine qui vous pousse à exécuter sur-le-champ quelque chose qui attend depuis dix ans !
Ce point est très important parce que souvent nous donnons le change en disant : « Il faut que je fasse telle chose ; la charité, le devoir me le commandent, je ne puis la laisser ! » Vous le pouvez car à d’autres moments et par pure nonchalance vous laisserez ce travail et pour bien plus de cinq minutes.
Ce temps appartient à Dieu et vous vous installez dans ce temps de Dieu tranquillement, silencieusement, paisiblement. Au début, vous verrez combien c’est difficile et vous découvrirez soudain qu’il est de la première urgence que vous terminiez telle lettre, la lecture de tel passage.  En réalité, vous vous apercevrez bien vite que vous pouvez très bien remettre cette occupation pendant trois, cinq voire même dix minutes sans qu’aucune catastrophe ne se produise. Et si vous avez à travail qui requiert toute votre attention, vous constaterez que vous pouvez vous en acquitter plus rapidement et tellement mieux !


BLOOM Antoine, L’école de la prière, Paris, Seuil, 1972, p. 111-121

dimanche 14 juin 2015

Prouver l'existence de Dieu ?

par Mgr. Kallistos Ware




Dans le Credo, nous ne disons pas : « Je crois qu’il y a un Dieu », mais : « Je crois en un seul Dieu. » Entre croire que et croire en, il y a une différence cruciale. Bien sûr, je peux croire que quelqu’un ou quelque chose existe, mais cela n’aurait aucun effet sur ma vie. En revanche, si je dis à un ami cher : « Je crois en toi », je vais beaucoup plus loin que le simple fait de reconnaître qu’il existe. « Je crois en toi » signifie : je me tourne vers toi, je compte sur toi, je mets ma confiance en toi, j’espère en toi. Et c’est ce que nous disons à Dieu dans le Credo.
La foi en Dieu n’a rien à voir avec cette certitude logique que nous atteignons dans la géométrie euclidienne. Dieu n’est pas la conclusion d’un processus de raisonnement ni la solution d’un problème mathématique. Croire ne veut pas dire que nous acceptons la possibilité de son existence parce que qu’elle nous a été « prouvée » par quelque argument théorique. 

Croire en Dieu, c’est mettre notre confiance en Quelqu’un que nous connaissons et que nous aimons. Avoir la foi, ce n’est pas supposer que quelque chose est vrai, c’est avoir la certitude que Quelqu’un est là, présent.

La foi n’est donc pas une certitude logique, mais une relation personnelle. Puisque cette relation est encore très incomplète en nous et qu’elle a continuellement besoin de grandir, la foi peut très bien coexister avec le doute. La foi et le doute ne s’excluent pas mutuellement. Nous devons faire nôtre ce cri : «  Seigneur, je crois ! Viens en aide à mon manque de foi ! » (Mc 9,24). Il restera pour beaucoup d’entre nous notre prière constante jusqu’aux portes de la mort. Cependant douter ne veut pas dire manquer de foi. Cela peut même signifier le contraire : que notre foi est bien vivante, qu’elle est en train de grandir. Car la foi ne suppose pas d’être content de soi, mais de prendre des risques ; elle n’implique pas de se fermer à l’inconnu, mais de l’affronter avec audace. Comme le dit à juste titre Thomas Merton :

 «  La foi est une source de questions et de combat avant de devenir une source de certitude et de paix. »

La foi se transforme alors en une relation personnelle avec Dieu. Une relation encore incomplète et hésitante mais néanmoins réelle. La foi, c’est connaître Dieu non pas comme une théorie ou un principe abstrait, mais en tant que personne. Et connaître une personne, c’est beaucoup plus que d’avoir des informations sur elle. Connaître une personne, c’est essentiellement l’aimer. Il ne saurait y avoir une vraie connaissance d’autrui sans amour mutuel. « Il peut fort bien être aimé, mais pas pensé. C’est par l’amour qu’on peut le saisir, le retenir, jamais par la pensée » (Le Nuage d’inconnaissance, chap. VI)

Dieu est Celui que nous aimons, notre ami personnel. Nous n’avons pas besoin de prouver l’existence d’un ami personnel. «  Dieu, écrit Olivier Clément, n’est pas une évidence extérieure, mais l’appel secret en chacun de nous. » Si nous croyons en Dieu, c’est parce que nous le connaissons directement d’expérience personnelle, non par des preuves logiques. Il convient, toutefois, de distinguer entre « expérience » et « expériences ». L’expérience directe peut exister sans être pour autant accompagnée d’expériences spécifiques [expériences sensibles (NDE) ]. Beaucoup ont cru en Dieu à cause d’une voix ou d’une vision, comme celle que reçut saint Paul sur le chemin de Damas (Ac 9,1-9). Bien d’autres, toutefois, ne sont jamais passés par ce genre d’expériences ; cela ne les empêche pas d’affirmer qu’il y a, présente dans leur vie comme un tout, une expérience plénière du Dieu vivant, une conviction qui existe à un registre plus fondamental que tous leurs doutes. Même si, contrairement à saint Augustin, Pascal ou Wesley, ils ne sauraient indiquer un endroit ou un moment précis, ils peuvent déclarer avec confiance : Je connais Dieu personnellement.


WARE Kallistos, Approches de Dieu dans la voie orthodoxe, Paris - Pully, Cerf - Sel de la Terre, 2004, p. 53-57

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